L’entrepreneur, l’avocat et l’économie collaborative

Les questions juridiques et règlementaires sont clés dans les business models de l’économie collaborative. Notre analyse. 

Cette article a également fait l’objet d’une publication sur Maddyness

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Le développement fulgurant de l’économie collaborative, en particulier grâce à l’émergence d’un écosystème de start-ups particulièrement dynamiques en France, n’est pas sans poser de nombreuses questions juridiques.

Pour s’en convaincre, il suffit d’évoquer les crispations des hôteliers face à la concurrence d’Airbnb, les rodomontades des pouvoirs publics face à Uberpop et, plus largement, la question du statut juridique de la plateforme mettant en relation les utilisateurs entre eux par le biais d’un site Internet et/ou d’une application mobile dédiée.

Il ne faut pas être alarmiste sur les risques juridiques liés au développement de ces nouvelles pratiques économiques mais plutôt faire un état des lieux des principaux risques juridiques liés à ces modèles collaboratifs et apprécier les perspectives d’évolution du cadre juridique en France avant d’évoquer l’approche la plus pertinente pour les entrepreneurs.

  • Etat des lieux des risques juridiques dans l’économie collaborative

Sans nul doute, l’économie collaborative brouille les pistes et chamboule les repères classiques. Le propriétaire d’un véhicule s’en sert comme une source de revenu, le locataire d’un appartement optimise l’occupation de celui-ci, ou encore l’utilisateur de ces services est bien souvent également celui qui endosse aussi le rôle de prestataire. Les distinctions traditionnelles, symbolisées en France par le Code civil, se trouvent face à un phénomène difficile à appréhender.

Quelque soit le domaine d’activité d’une startup dans l’économie collaborative, les thèmes juridiques suivants doivent faire l’objet d’une vive attention pour déterminer l’étendue de ses responsabilités :

  • la fiscalité avec notamment la déclaration des revenus des prestataires renseignés sur la plateforme,
  • les obligations en matière d’assurance auxquelles la plateforme ainsi que ses prestataires sont tenues,
  • en droit du travail, le statut choisi par ses prestataires avec notamment l’épineuse question de lien de subordination de ceux-ci pour ne pas risquer une requalification en contrat de salarié,
  • les obligations en matière de protection des consommateurs utilisant les services proposés, à ce titre les conditions générales d’utilisation et de vente sont incontournables,
  • le traitement des données personnelles au sens de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés et modifiée par la loi 6 août 2004 relative à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel.

Au delà des quelques points de cette liste non exhaustive, le secteur dans lequel la startup opère doit naturellement entrainer une analyse attentive des obligations spécifiques à ce secteur. C’est en particulier le cas lorsque les activités sur ce secteur sont règlementées. On peut citer à cet égard le transport, l’alimentation, l’hébergement ou la finance par exemple. Sur ces secteurs, les litiges en matière de concurrence déloyale sont réguliers.

  • Perspectives d’évolution du cadre juridique en France

La rapidité d’évolution de l’économie entraîne nécessairement un retard du droit sur ces sujet. Pour le combler, plusieurs approches s’offrent afin d’appréhender ces nouvelles réalités juridiques.

En premier lieu, une approche sectorielle peut être adoptée pour réglementer une activité qui s’est largement développée et qu’il est nécessaire d’encadrer juridiquement.

C’est le cas notamment en matière de la réforme juridique du financement participatif. Le crowdfunding, à travers l’ordonnance n°2014-559 du 30 mai 2014 relative au financement participatif (entrée en vigueur le 1er octobre 2014), s’est doté de nouvelles règles qui ont été vivement commentées. Cette ordonnance a introduit des modifications du Code monétaire et financière et du Règlement général de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) qui sont les deux textes principaux applicables en la matière.

En second lieu, selon une approche jurisprudentielle, le juge a posé des règles au cas par cas lorsque cela s’est avéré nécessaire. En l’absence de réponse par la loi à de nouvelles questions, le juge s’est prononcé à partir de textes existants.

En matière de d’hébergement par exemple, on peut citer le cas d’un litige autour de la sous-location d’un appartement dans lequel un locataire, assigné par son bailleur, a été condamné en première instance par le Tribunal d’Instance du 9ème arrondissement à payer 2 000 euros pour avoir accueilli ponctuellement des locataires courte durée. Ce n’est pas la première fois qu’un litige en matière de sous-location location existe mais cette fois ci, la plateforme la plus connue en la matière était citée par le jugement.

En troisième lieu, le législateur peut intervenir pour fixer un cadre général. C’est ainsi que l’ambition d’Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat en charge du numérique, est affichée puisqu’elle entend créer une « République du numérique » grâce à une loi audacieuse incluant des dispositions sur l’Open Data, sur la protection des données personnelles et sur l’innovation. Ce dernier volet se décline, d’une part, en l’instauration de règles favorisant le développement de l’entreprenariat en France et, d’autre part, en la fixation de règles encadrant l’économie collaborative.

Cette approche consiste à prendre acte du développement de l’économie collaborative et à adopter des règles juridiques générales pour sécuriser les relations entre ceux qui y participent. Cette volonté nécessite de se concentrer sur les éléments communs à toutes ces nouvelles activités, par exemple la responsabilité de la plateforme mettant en relations les utilisateurs ou encore l’application du droit de la consommation. Le projet de loi en préparation permettra de connaître l’approche retenue par le gouvernement.

Face à ces multiples possibilités et l’évolution constante du cadre juridique, il est important de prendre en compte la dimension juridique en compte lorsque, comme entrepreneur, on développe son activité.

  • L’attitude proposée aux entrepreneurs

Notre conviction est que la prise en compte de la dimension juridique par les entrepreneurs ne doit pas se faire au détriment des initiatives. L’existence de risques, fussent ils juridiques, est une donnée normale de la vie d’un entrepreneur. Elle ne doit pas entraîner sa paralysie.

Pour cela une approche raisonnée est recommandable. Si les problématiques juridiques ne figurent pas a priori parmi les premières préoccupations de l’entrepreneur, il faut néanmoins les déterminer afin de pouvoir les anticiper pour agir le moment voulu. En toute hypothèse, ces questions se poseront nécessairement lors d’une levée de fond ou d’une cession car, régulièrement, le business model entier de la startup collaborative dépend de ces sujets.

Les avocats de leurs côtés sont souvent perçus comme de empêcheurs de tourner en rond qui surévaluent systématiquement des risques limitant l’entrepreneur dans ses initiatives. Particulièrement aux côtés de ces jeunes entreprises, il lui faut tenir compte de ses contraintes tout en lui fournissant un conseil de qualité. En tant qu’accompagnateurs, il incombe aux avocats de mettre en lumière certains risques et les évaluer pour permettre à l’entreprise de prendre des décisions éclairées.

Aussi, une double mouvement doit s’opérer. D’une part, le droit doit s’adapter aux innovations entrepreneuriales afin que ces nouvelles entreprises disposent du cadre le plus favorable pour s’épanouir. D’autre part, l’entrepreneur est tenu de s’informer sur ses obligations juridiques et de les respecter. Une vision claire de l’environnement juridique dans lequel il évolue est d’ailleurs le meilleur moyen dont il dispose pour sécuriser son activité. A ce titre, l’accompagnement d’un avocat apparaît important si celui-ci ne bride pas le dynamisme de l’entreprise et  permet, par son expertise, d’isoler les problèmes clés pour pouvoir les résoudre et à tout le moins limiter les conséquences négatives.

Arthur Millerand, Avocat à la Cour – arthur.millerand@gmail.com

Michel Leclerc, Avocat au Barreau de New York – michel.leclerc10@gmail.com

Loic Jourdain, Juriste et entrepreneur – loic.jourdain@gmail.com

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Classé dans Evolution du cadre juridique, Obligations et responsabilité des plateformes, Prises de position

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