Archives mensuelles : mars 2015

Uberpop : quels risques pour le chauffeur ?

Les perquisitions ayant eu lieu le 16 mars 2015 au siège d’Uber France, dans le cadre d’une enquête pénale portant sur Uberpop, démontrent encore une fois les importantes tensions qu’entraîne ce service. Depuis l’entrée en vigueur de la loi Thévenoud en janvier 2015, les attaques se sont multipliées à l’encontre d’Uberpop, notamment la décision du préfet de la région Aquitaine et de la Gironde, en date du 10 février 2015 (lire notre analyse de cette décision ici).

Derrière les nombreuses critiques émises tant par les taxis, les chauffeurs de VTC que par les autorités publiques, se trouve une situation problématique pour les chauffeurs Uberpop eux-mêmes puisqu’ils sont en première ligne.

L’infraction concernant les chauffeurs est l’exercice illégal de la profession de taxi dont les peines prévues sont au maximum de un an de prison et 15.000 euros d’amende aux termes de l’article L. 3124-4 du Code des transports. Par ailleurs, parmi les peines complémentaires encourues par les chauffeurs à ce même article figurent la suspension du permis de conduire (pour une durée de cinq ans au plus), l’immobilisation du véhicule qui a servi à commettre l’infraction (pour une durée d’un an au plus) et la confiscation du véhicule qui a servi à commettre l’infraction

Depuis le début de l’année 2015, les contrôles de police sont de plus en plus nombreux et, faute de pouvoir justifier d’une carte professionnelle de VTC, les gardes à vue et les poursuites pénales ne sont plus à exclure, comme en témoignent les centaines de cas à Toulouse, Bordeaux, Lyon ou Paris. La mobilisation des forces de l’ordre face à Uberpop fait donc peser un risque important sur les chauffeurs qui peuvent être contrôlés puis être placés en garde à vue. Le rythme des interpellations s’est d’ailleurs accéléré ces dernières semaines.

Face à l’augmentation des contrôles, Uber a décidé d’imposer à ses chauffeurs à compter du 21 mars 2015 d’avoir une structure juridique avec une assurance de responsabilité civile (par exemple en devenant auto-entrepreneur), obtenir une attestation physique auprès d’un médecin et effectuer une formation complémentaire. Si cette précaution est louable, elle ne supprime pas le risque pesant sur les chauffeurs Uberpop en raison de leur activité.

Il est important pour les chauffeurs Uberpop d’être préparés à l’éventualité d’un contrôle et d’une éventuelle garde à vue subséquente.

Pour ce faire, il est important de se renseigner pour connaître le contexte général et les éventuels témoignages de chauffeurs ayant déjà traversé cette situation. Ensuite, voici quelques conseils pratiques :

–        Rester calme et courtois ;

–        Etre bien concentré pour ne pas baisser la garde, surtout lorsque l’atmosphère devient plus décontractée ;

–        Prendre le temps de réfléchir avant de répondre et ne pas craindre de prendre du temps pour cela ;

–        Répondre aux questions factuellement et éviter les jugements de valeur ;

–        Ne pas être évasif, rester précis clair et direct en faisant des réponses courtes.

Une mesure de garde à vue pourrait être décidée s’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’une personne a commis ou tenté de commettre une infraction. Il est impossible de s’y opposer et sa durée est en principe de 24 heures.

Si une telle mesure devait être ordonnée, le chauffeur Uberpop devra faire valoir ses droits : il doit pouvoir connaître la nature de l’infraction poursuivie, faire prévenir un proche, garder le silence, s’entretenir avec l’avocat de son choix pendant 30 minutes, être accompagné d’un avocat pendant les interrogatoires, voir un médecin et refuser de signer le procès-verbal établi par l’officier de police le cas échéant. Le plus important est de demander à être assisté d’un avocat afin de se faire expliquer la procédure et de se faire protéger pendant la procédure.

La première audience impliquant des chauffeurs Uberpop a eu lieu le 9 avril au Tribunal correctionnel de Paris et la décision est attendue pour le début du mois de juin 2015.

Droit du Partage vous tiendra bien évidemment informés de l’évolution concernant ce sujet.

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Uberpop en Gironde: analyse de l’arrêté préfectoral du 10 février 2015

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La situation juridique du service Uberpop d’Uber ne cesse d’alimenter l’actualité. Depuis plusieurs semaines maintenant, des arrestations de conducteurs Uberpop sont annoncées quotidiennement dans les médias (‘une analyse spécifique concernant les chauffeurs est à suivre, patience !).

La décision prise le 10 février 2015 par le préfet de la Région Aquitaine et de la Gironde doit être analysée car il s’agit non seulement de l’irruption inédite du droit administratif dans l’économie collaborative mais aussi d’une nouvelle preuve éclatante du caractère extrêmement « dérangeant » des pratiques collaboratives pour les catégories juridiques traditionnelles issues de notre droit.

  • La décision du Préfet est une mesure de police administrative

La décision du Préfet est très nette dans son dispositif puisqu’elle consiste à déclarer que « l’activité de transports de personnes à titre onéreux dite Uber pop organisée par l’entreprise Uber sur le département de la Gironde est et demeure interdite. Il est enjoint aux responsables de la société Uber d’y mettre fin sans délai ». Les gendarmeries et les compagnies républicaines de sécurité (CRS) sont quant à elles chargées de « l’exécution du présent arrêté ».

Cette décision est une mesure de police administrative prise par le Préfet, comme il en a le pouvoir aux termes du Code général des collectivités territoriales[1]

A cet égard, le Code pénal prévoit expressément que la violation d’un arrêté de police est une contravention de première classe[2] assortie d’une amende forfaitaire de 11 euros pour chaque infraction constatée.

  • Les motifs

La décision prise est donc importante puisqu’elle assortit de sanctions pénales immédiates l’utilisation du service Uberpop. Pour justifier cette décision, le Préfet de Gironde a suivi le raisonnement suivant :

  1. le service Uberpop ne respecte pas les prescriptions du Code des transports, plus particulièrement les dispositions issues de la Loi Thévenoud ;
  2. les revenus tirés du service Uberpop par les chauffeurs « doivent être déclarés» et ne le sont pas ;
  3. l’activité d’Uberpop constitue du travail illégal au sens de l’article L.8272-2 du Code de travail ;
  4. ces pratiques illégales qui « s’affranchissent de ce cadre juridique» ont donné lieu à des manifestations de taxis perturbant gravement la circulation et à des incidents violents ; donc
  5. il convient de mettre fin à l’activité illégale à l’origine de ces troubles.

 

  • Intérêt juridique d’un tel arrêté et perspectives

 

Le raisonnement suivi par le Préfet l’illustre bien : les critiques juridiques occasionnées par Uberpop sont nombreuses et il n’a pas été difficile au Préfet de les concentrer afin d’aboutir à une telle mesure d’interdiction. On notera par ailleurs que ce raisonnement est si général qu’il est susceptible d’être dupliqué dans tous les départements français où Uberpop est en service.

 

Sur le plan procédural, on notera également que cet arrêté préfectoral peut faire l’objet d’un recours gracieux auprès du Préfet, d’un recours hiérarchique auprès du Ministre de l’intérieur ou bien d’un recours contentieux devant le Tribunal administratif de Bordeaux.

 

Une telle décision est donc d’une portée juridique limitée puisqu’il ne s’agit ni d’une décision de justice, ni d’une loi. Néanmoins, elle constitue une pierre supplémentaire et très localisée (puisque limitée au département de la Gironde) dans le mouvement réglementaire qui vise à faire constater l’illégalité du service Uberpop.

 

Pour le juriste intéressé à l’économie collaborative mais aussi pour tous les acteurs de l’économie collaborative ces problématiques soulevées au sujet d’Uberpop sont passionnantes car elles démontrent, pour tout ce nouveau secteur du « partage », toute l’importance des aspects réglementaires sectoriels (comme la Loi Thévenoud), du respect de l’ordre public (symbolisé par le Code pénal), du droit du travail, des initiatives des pouvoirs publics et des obligations classiques issues du droit civil français.

 

 

[1] Article L.2215-1 du Code général des collectivités territoriales.

[2] Article R. 610-5 du Code pénal.

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Travailleurs indépendants v. salariés, les problèmes sont en embuscade

L’économie collaborative est en pleine expansion et les startups dans ce secteur sont de plus en plus nombreuses. La plupart du temps, celles-ci sont des plateformes mettant en relation des particuliers, l’un fournissant le service/bien et l’autre le consommant.

Tout entrepreneur doit être attentif à son business model et construire un business plan cohérent en tenant compte de toutes les contraintes. Pour que ce dernier soit solide, il faut tenir compte de l’ensemble des paramètres de l’activité, en particulier le coût du service proposé. Parmi ces variables rentre souvent en ligne de compte le recours à des prestataires de services pour réaliser tout (par exemple, le chauffeur de VTC) ou partie (par exemple, les livreurs) du service. Se pose alors la question juridique suivante : salarié ou pas salarié (freelance, auto entrepreneur, apporteur d’affaires…) ?

Si la seconde option venait à être choisie, l’interrogation suivante interviendrait : ai-je un risque de requalification (c’est-à-dire qu’un juge vienne dire que la relation contractuelle était en réalité un contrat de travail) ?

Effectivement tout signataire d’un contrat commercial (contrat d’apporteur d’affaires, contrat de prestations de services, contrat de consultant, contrat de freelance…) peut, s’il considère être soumis à un lien de subordination, saisir le Conseil de Prud’hommes pour demander à ce que son contrat soit reconnu comme contrat de travail et ainsi demander des compensations financières (rappel de salaires, heures supplémentaires, indemnités de licenciement par exemple).

Pour ce faire, il devra démontrer aux juges qu’il était en réalité lié par un contrat de travail en établissant qu’il a réalisé une prestation contre une rémunération sous la subordination de l’entreprise. Le juge peut toujours, en se fondant sur un faisceau d’indices, considérer que la relation est dans les faits une relation de travail. Les principaux critères retenus par la jurisprudence sont les suivants : le niveau d’activité (exclusivité ou non, activité récurrente ou occasionnelle), une maîtrise du temps de travail (liberté des horaires ou non, liberté des jours de travail ou non), un pouvoir de contrôle et de surveillance (rendre des comptes à l’entreprise), un pouvoir de sanction (capacité de l’entreprise à sanctionner les manquements du travailleur), l’instauration d’un service organisé (l’entreprise impose une tenue vestimentaire, impose un processus déterminé par elle)…

Ces indices ne sont que des exemples et sont très variables d’une situation à l’autre. Il faut donccconduire une analyse juridique et factuelle précise pour déterminer le niveau de risque pour chaque activité. Le raisonnement est simple : plus il y a d’indices, plus il y a de risques. Cependant, il ne faut pas se laisser déborder par celui-ci car être entrepreneur, c’est être entouré de risques. Il ne faut pas brider ses initiatives sur cette base mais plutôt évoluer en maîtrisant les risques ou au moins en en ayant connaissance.

Pour vous aider, Droit du Partage a établi quelques questions vous permettant d’identifier si, de prime abord, il existe un risque de requalification pour les travailleurs indépendants auxquels vous avez recours :

–        Le travailleur indépendant est-il soumis à une obligation d’exclusivité vis-à-vis de l’entreprise ?

–        Le travailleur indépendant a-t-il la possibilité de développer une clientèle (y compris pour des entreprises concurrentes) ?

–        Le travailleur indépendant est-il suffisamment autonome pour refuser certains clients ?

–        Le travailleur indépendant exerce-t-il une activité récurrente ou occasionnelle ?

–        Le travailleur indépendant détermine-t-il le prix de sa prestation ou bien est-il fixé à l’avance ?

–        La réalisation de la prestation fait-elle l’objet d’un suivi et d’un contrôle de la part de l’entreprise ?

–        L’entreprise impose-t-elle des consignes précises, une tenue ou tout autre élément déterminant les conditions d’exercice de la prestation ?

–        L’entreprise dispose-t-elle d’un pouvoir de contrainte et/ou de sanction vis-à-vis du travailleur indépendant ?

–        Le travailleur indépendant donne-t-il l’impression d’être un salarié de l’entreprise ?

Il ne serait pas surprenant de voir des décisions de justice à ce sujet concernant les business model de l’économie collaborative.

Droit du Partage continuera à suivre cette problématique récurrente pour vous tenir informés.

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