L’économie collaborative se développe dans de multiples secteurs, posant à chaque fois des questions juridiques spécifiques. Parmi ces secteurs, le transport est sans doute celui où les pratiques collaboratives se développent le plus, tant en ce qui concerne le transport de personnes qu’en ce qui concerne le transport de marchandises.
Dans le domaine du transport de personnes, les modèles collaboratifs ont essentiellement un nom : le covoiturage, symbolisé par son champion français Blablacar. Le cadre juridique applicable à cette pratique commence à se dessiner et la notion de partage de frais y est centrale, bien qu’elle puisse encore être sujette à des incertitudes et des interprétations divergentes en raison de l’absence de définition légale.
Dans le domaine du transport de marchandises, les modèles collaboratifs sont en plein développement. Portés par des startups telles que Cocolis, Tousfacteurs, Colis-voiturage ou Transportentreparticuliers, ces modèles reposent essentiellement sur la mise en relation de particuliers qui ont besoin de voir un colis transporté d’un point A à un point B avec des personnes qui sont en mesure de réaliser ce transport.
Nous abordons ces questions dans notre livre qui paraît en ce mois de janvier 2016.
Transport public et transport privé de marchandises
D’un point de vue juridique, la règlementation des transports distingue de manière très nette le transport de personnes et le transport de marchandises, traités séparément par le Code des transports.
Le transport de marchandises est une activité hautement régulée par le Code des transports selon une distinction fondamentale : à côté du transport public de marchandises, soumis à des contraintes fortes, le transport privé de marchandises (également dénommé « transport pour propre compte ») qui échappe à la lourde règlementation.
Tout l’enjeu est donc de distinguer ces deux catégories, ce qui n’est pas chose simple tant la distinction est difficile à opérer dans le cas des nouveaux modèles de transport collaboratif de marchandises. En effet, le transport privé de marchandises est sans définition légale et il convient donc de se référer à plusieurs types de sources différentes afin de le définir. Cette analyse dépend étroitement des modalités selon lesquels le transport collaboratif s’organise, de la prise en charge des marchandises à sa propriété, en passant par le mode de transport. C’est pourquoi cette catégorie résiduelle de transport privé ne peut être définie simplement.
Au sein du transport public, qui est la catégorie par défaut, le Code des transports définit plusieurs types de professions réglementées dont l’accès est régulé et soumis à des sanctions de nature pénale en cas de violation de ces conditions d’accès. On distingue par exemple les statuts de transporteur, de commissionnaire de transport et d’auxiliaire de transport.
La qualification du statut juridique des diverses parties prenantes aux opérations de transport de marchandises collaboratives est un enjeu essentiel. Selon la catégorie à laquelle chacun de ces acteurs appartient, un régime plus ou moins souple et des sanctions plus ou moins importantes s’appliqueront.
Des enjeux pour les plateformes et les utilisateurs
On peut distinguer dans une opération de transport collaboratif deux acteurs essentiels : (i) le particulier qui transporte les marchandises et (ii) la plateforme qui organise le transport.
La détermination de leur statut au regard de la règlementation des transports est une question complexe et technique. En substance, l’enjeu pour le particulier qui effectue le transport est de savoir s’il est un transporteur au sens du Code des transports, soumis à des contraintes fortes et un statut règlementé. Pour la plateforme, l’enjeu est de déterminer son degré d’intervention dans l’opération de transport et donc son possible statut du point de vue du Code des transports.
L’idée d’appliquer, d’un point de vue juridique, la notion de partage des frais au transport de marchandises pourrait faire sens tant il est envisageable de partager les frais liés au transport d’un colis d’un point A à un point B et de considérer que les opérations de transport de marchandises qui reposent sur du partage de frais seraient exonérées des contraintes règlementaires liées au transport de marchandises comme elles le sont pour le transport de personnes. Pourtant, en l’état actuel de la loi, cette analogie est très difficile à soutenir car (i) le covoiturage est défini uniquement à l’article L. 3132-1 du Code des transports, au sein d’un chapitre exclusivement dédié au transport privé routier de personnes, et (ii) le partage de frais est une notion inconnue de la règlementation relative au transport de marchandises.
Le droit des transports a indéniablement subi l’impact des nouveaux modèles collaboratifs. La règlementation actuelle ne permet pas de répondre de manière satisfaisante aux opportunités et aux risques générés par ces nouveaux modèles, qui sont pourtant des viviers d’activité très prometteurs. Une clarification serait bienvenue. Le projet de loi « Noé » (Nouvelles opportunités économiques) porté par le Ministre de l’Economie pourrait en être l’occasion.
Droit du partage continue naturellement de suivre ces questions pour vous.