Le projet de loi pour une République Numérique est un texte ambitieux porté par Axelle Lemaire. Après un long processus législatif (voir ici une analyse), il est enfin en voie d’aboutir.
Sur le fond, le projet de loi (voir le texte) traite des sujets clés de l’économie numérique : l’accès aux données, la neutralité d’internet, la portabilité des données, la loyauté des plateformes, la protection de la vie privée ou encore l’accès au numérique. En bref, l’objectif assumé de ce texte est de permettre à la France d’acquérir les outils et protections nécessaires pour un épanouissement de l’économie numérique.
Trois aspects de la loi nous semblent particulièrement intéressants pour l’économie collaborative et, plus largement, l’économie des plateformes :
- Renforcement des obligations de loyauté et d’information à la charge des plateformes : les articles 22 et 23 du projet de loi renforcent le mouvement déjà amorcé par la loi Macron votée en août 2015 concernant la protection des utilisateurs. Une plateforme est définie comme « toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication en ligne reposant sur : le classement ou le référencement […] ou la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un contenu d’un bien ou d’un service« . Elles doivent délivrer aux consommateurs une information loyale, claire et transparente sur (i) les conditions générales d’utilisation du service, (ii) l’existence d’une relation contractuelle et (iii) la qualité de l’annonceur et les droits et obligations des parties en matière civile et fiscale lorsque des consommateurs sont mis en relation avec des professionnels ou des non-professionnels. Un décret d’application précisera ces obligations mais on voit dores et déjà que les plateformes sont débitrices de nombreuses informations. De plus, dans la même veine, les opérateurs de plateformes en ligne dont l’activité dépasse un certain nombre de connexions (celui-ci sera défini par un décret) doivent élaborer et diffuser au consommateur des « bonnes pratiques visant à renforcer les obligations de clarté, transparence et de loyauté« . Ce mouvement, tendant vers une augmentation de l’information pour les utilisateurs des plateformes, est bénéfique et doit être salué tant que celui-ci n’aboutit pas à des obligations exorbitantes et disproportionnées à la charge des plateformes.
- Pas de communication des revenus bruts des utilisateurs à Bercy : les sénateurs avaient souhaité mettre à la charge des plateformes de communiquer tous les revenus bruts des utilisateurs à l’administration fiscale. Cependant, cette disposition n’est pas reprise dans la version finale du projet de loi. C’est une excellente nouvelle puisque cette proposition était à la fois complexe (Qu’est ce que l’administration fiscale ferait de ces informations ? Comment les exploiter et les recouper ? Les ressources nécessaires à leur gestion sont elles disponibles ?) et inenvisageable en pratique (aux Etats-Unis, l’expérience a été tentée avant d’être abandonnée puisque l’administration fiscale avait des données dont elle ne savait pas quoi faire). Depuis le 1er juillet 2016, les plateformes ont seulement l’obligation de transmettre à leurs utilisateurs, chaque année, un récapitulatif des sommes obtenues par leur intermédiaires (cette obligation est couplée avec celle imposant aux plateformes de mise en relation de produire un certificat pour attester du respect des obligations d’informations – WeCertify propose d’intervenir comme tiers indépendant dans cette perspective). Cette obligation se comprend (d’ailleurs de nombreuses plateformes n’ont pas attendu que la loi l’impose pour mettre en place cette mesure) puisqu’elle permet une bonne gestion de la plateforme et une responsabilisation des utilisateurs. Il ne faut pas imposer des contraintes disproportionnées aux acteurs de l’économie numérique et l’absence de normes concernant la fiscalité dans ce projet de loi est une bonne nouvelle.
- Attaques contre les plateformes de location courte durée : le climat n’est pas favorable à ces entreprises (à titre d’exemple Airbnb a suivi des déconvenues à Berlin et à New-York avec une interdiction décidée en mai 2016 pour la première ville en mai 2016 et d’importantes restrictions adoptées en juin 2016 pour la seconde) ainsi qu’en témoigne l’article 23 quater A qui fixe des contraintes fortes. Dans les communes où le changement d’usage des locaux destinés à l’habitation est soumis à une autorisation préalable, le conseil municipal peut, sur simple délibération, décider de soumettre les loueurs à un enregistrement préalable (ce qui est communément appelé le « permis de louer« ). Ce processus, qui est décrit dans le projet de loi, bride ces nouvelles activités de location (les municipalités les plus concernées par le phénomène de location de courte durée ne manqueront pas de faire). Par ailleurs, il est prévu que la plateforme « veille à ce que le logement proposé à la location ou à la sous-location ne soit pas loué plus de 120 jours par an par son intermédiaire lorsque le logement constitue la résidence principale du loueur« . Ces mesures sont des restrictions importantes qui complexifient le recours à ces plateformes pour les loueurs (c’est sans doute un des objectifs) et qui brident ces nouvelles activités.
Si le projet de loi doit être salué dans son ensemble (grandes avancées sur l’open data, la gouvernance d’internet et les droits des individus dans l’économie numérique), nous regrettons que le législateur ait choisi de contraindre certains acteurs de l’économie numérique (ex : les plateformes de location courte durée) au lieu d’alléger les contraintes des acteurs traditionnels (ex : les hôtels). Nous avons déjà critiqué les excès de réglementation vis-à-vis de l’économie numérique (lire ici les détails) et réitérons les dangers que cela représente pour les nouveaux acteurs innovants (notre analyse ici) alors que les utilisateurs plébiscite ces nouveaux services.
Le législateur devrait être plus attentif dans l’élaboration des normes à bien distinguer les utilisations occasionnelles de ces services par des particuliers des utilisations régulières et lucratives par des professionnels. Les deux ne peuvent pas être mis sur un pied d’égalité et il faut mettre en place des régimes juridiques distincts selon les usages (des pistes de réflexion sont à trouver ici).
Droit du Partage continuera à vous tenir informé sur les enjeux juridiques de l’économie numérique.
Je me trompe peut-être mais la mise en œuvre d’obligations d’information supplémentaires semble aller dans la droite ligne de la réforme du droit des contrats et du droit de la consommation, en permettant une information des consommateurs par les plateformes de mise en relation lors que le contrat est conclu par deux autres personnes. Cela semble logique.
Par ailleurs, les éléments sur Airbnb semblent un bon moyen de maintenir cela dans le cadre d’une véritable économie collaborative. Il me paraît logique qu’une personne exerçant une activité professionnelle via ce type de plateforme soit soumise a certaines obligations supplémentaires…
Bonjour Pierre,
Effectivement, le renforcement des obligations d’information est un mouvement de fond et la réforme du droit des contrats témoigne de cette évolution. Il est important que les utilisateurs de ces plateformes soient bien informés sur leurs droits et obligations. Si cela est compréhensibles, il ne faut pas mettre à la charge des plateformes des obligations impossibles (aujourd’hui le champ de l’information à délivrer n’est pas déterminé, ce qui est un problème).
Pour ce qui est d’Airbnb, mais c’est le cas de toutes les entreprises de cette économie numérique impliquant des particuliers, il est impératif de distinguer les particuliers des professionnels (les règles doivent être différenciées et le travail juridique reste à faire). Après, il ne faut pas imposer des règles trop contraignantes qui viendraient brider l’activité économique. Pourquoi ne pas alléger les contraintes des acteurs traditionnels ?
Bonne journée.
L’équipe Droit du Partage