Archives mensuelles : octobre 2016

Mais où s’arrêtera le législateur dans la règlementation de l’économie numérique ?

Après la publication de la doctrine fiscale sur les revenus tirés de l’économie collaborative (de la co-consommation devrait on dire : cf. notre analyse ici), le projet de loi de finance de la sécurité sociale (PLFSS) en 2017 fixe de nouvelles règles concernant l’économie numérique (le texte est à retrouver ici).

La loi de finance de 2016, dans son fameux article 87, imposait aux plateformes de mise en relation de l’économie numérique de transmettre à ses utilisateurs une information loyale, claire et transparente sur les obligations fiscales et sociales (l’article 242 bis du Code général des impôts fixe des règles relatives à l’information des utilisateurs dont le respect doit être certifié chaque année par un tiers indépendant – c’est la mission de WeCertify d’accompagner les plateformes dans ce cadre). C’est en raison de ce texte, et de l’attente légitime des acteurs, que l’on assiste aujourd’hui à des précisions de la part des différentes administrations et que des règles sont adoptées

L’article 10 du PLFSS 2017 fixe donc des règles du point de vue « social ». Plus particulièrement en ce qui concerne la location d’appartements de courte durée, où une affiliation serait nécessaire, pour identifier les activités professionnelles, à compter de 23.000 euros de recette de chiffre d’affaires pour l’ensemble des membres d’un foyer fiscal. En ce qui concerne la location de biens meubles (par exemple une voiture), le montant fixé pour cette affiliation est de 10 % du plafond annuel de la sécurité social ou du chiffre d’affaires (ce qui correspond à environ 3.800 euros).

On ne peut que déplorer ces nouvelles règles qui viennent (encore) complexifier l’environnement réglementaire et légal.

On assiste désormais à une superposition de plusieurs règles. Du point de vue fiscal, toute somme non issue de la co-consommation (notion critiquable à notre avis puisqu’elle est très restrictive) doit être assujettie à l’impôt, c’est-à-dire que l’administration fiscale considère qu’elle est un revenu professionnel. D’un point de vue social, les règles d’affiliation vont dépendre de seuils, c’est-à-dire que l’administration sociale considérera comme professionnels ceux qui seront au-dessus. A cela il faut ajouter le seuil de déclenchement des obligations du droit de la consommation, qui ne s’applique qu’aux professionnels, entendu selon la jurisprudence classique en la matière comme une personne qui exerce à titre habituel une activité avec une intention de générer des profits.

Au lieu d’adopter une solution simple alignant les trois régimes, on assiste aujourd’hui à une complexification de l’environnement normatif avec des règles qui se déclenchent à différents seuils. On ne peut que regretter ce millefeuille juridique et il devient impératif pour les acteurs de s’entourer des plus grandes précautions pour ne pas entrer en violation de leurs obligations. C’est d’autant plus dommage que le critère clé de la distinction professionnel/particulier s’estompe derrière ces différentes règles : ce qui est déterminant, pour nous, est de savoir si le particulier fait (ou non) des profits (la récurrence et le caractère habituel doivent être les points essentiels déclenchant l’application des règles).

Des précisions concernant ces multiples obligations, imposées aux plateformes de mise en relation de l’économie numérique, devraient intervenir par voie de décret d’ici la fin de l’année 2016 (notamment pour préparer l’entrée en vigueur des nouvelles normes au début 2017). Il faut en effet se pencher sur les précisions qui seront apportées pour être en mesure de respecter les obligations au premier trimestre 2017.

Droit du Partage se tient bien entendu informé et à votre disposition pour échanger à ce sujet.

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Travail indépendant et salariat dans l’économie des services à la demande : une frontière en débat

Après la perquisition chez Click and Walk en juin 2016 dans le cadre d’une enquête pour travail dissimulé, la Loi Travail de Myriam El-Khomri qui fixe des règles de protection pour les travailleurs indépendants (analyse à retouver ici), les PLF 2017 / PLFS S2017 (voir ici une analyse) ou encore les débats récurrents sur le statut des livreurs ou des chauffeurs de VTC, le débat fait rage en France concernant les travailleurs indépendants de l’économie du service à la demande. Nous avons déjà abordé dans nos colonnes les critères juridiques permettant de distinguer les travailleurs indépendants et les salariés (nos articles peuvent être retrouvés ici, ici ou ici). Un nouveau jalon a été posé dans la construction de la frontière aux Etats-Unis dans le cadre des class action menées par des centaines de milliers de chauffeurs contre la société Uber (d’autres dossiers concernant des indépendants existent (ou ont existé) contre Lyft ou Homejoy par exemple).

Dans son ordonnance du 18 août 2016, le juge Edward Chen a refusé d’homologuer l’accord intervenu entre Uber et les chauffeurs dans leur litige (lien vers la décision). Le juge a considéré que la transaction n’était pas « équitable, adaptée et raisonnable » malgré le montant important de la transaction (100 millions de dollars – pour mémoire cette somme était inférieure aux demandes qui s’élevaient à plus de 800 millions de dollars) et les suggestions de modifications des conditions générales de partenariat proposées par Uber. Aux Etats-Unis, le débat continue donc sur le statut juridique des « travailleurs 1099 » (du nom du formulaire fiscal des indépendants) et les décisions de justice se multiple. Cela devrait permettre d’aboutir à des principes pour appréhender juridiquement ce nouveau phénomène (incidemment, nous précions qu’il faudra conduire une réflexion sur le rôle des algorithmes dans la relation de travail).

Cela conduit une nouvelle fois à nous interroger sur le sens dans lequel les juridictions françaises pourraient statuer. A notre connaissance, pour l’instant, les demandes de requalification de travailleurs indépendants en salariés ont échoué dans le secteur de l’économie des services à la demande[1].

Comme en toute chose, la mesure est de mise.

Nous considérons qu’il n’est pas question de remettre en cause le travail indépendant pour adopter un modèle « 100% salariat », là n’est pas notre position. Nous pensons qu’il est de la responsabilité du juge de s’assurer que les excès qui peuvent exister soient sanctionnés. Il ne faut pas permettre aux plateformes de l’économie de services à la demande, en raison de leur pouvoir économique, d’imposer à des travailleurs indépendants des conditions contractuelles exorbitantes (tout particulièrement, il est indispensable que les clauses d’exclusivité soient bannies des contrats puisqu’un indépendant doit pouvoir travailler pour plusieurs donneurs d’ordre – ce point de vigilance que nous identifions est d’ailleurs une des dispositions phares de la proposition de loi Grandguillaume prévoit pour les taxis et VTC). La question n’est donc pas de savoir si les travailleurs indépendants devraient être des salariés (de nombreuses actions sont engagées sans avoir de réelles chances de succès) mais plutôt de savoir si la plateforme instaure un système qui aurait nécessité des salariés (les contraintes étant trop fortes) et non des indépendants.

La frontière entre travail indépendant et salariat dans l’économie des services à la demande est en construction. Certaines plateformes acceptent de laisser toute la liberté à leurs indépendants (pas d’exclusivité, pas de contrainte horaires, pas de sanctions disciplinaires…), d’autres prennent acte des contraintes nécessaires de leur modèle économique pour avoir des salariés (on pense à Instacart ou encore Shyp). Seules, les plateformes qui utilisent des indépendants en lieu et place de salariés, c’est-à-dire en leur imposant des contraintes excessives, doivent être sanctionnées. Pour le reste, il s’agit de la liberté entre les parties et de litiges commerciaux.

Droit du Partage continuera à vous informer des évolutions concernant cette question.

[1]     V. p. ex. Cour d’appel de Paris, 7 janvier 2016, n°15/06489 (décision rendue en faveur d’une application VTC).

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Classé dans Droit du travail et requalification, Transport de personnes