Archives mensuelles : février 2019

Platform to Business (P2B) : le règlement est bientôt finalisé

Nous évoquions le règlement européen dit Platform To Business (« P2B ») comme un texte fondamental de la régulation des plateformes (voir nos articles sur la rentrée juridique 2019 et sur le projet de règlement P2B d’avril 2018) : un grand pas vient d’être fait vers une finalisation du texte.

Ce règlement ambitionne de faire de l’Union Européenne un environnement économique transparent et prévisible pour les entreprises et les « business users » qui utilisent des services d’intermédiation en ligne (en particulier, des plateformes, des places de marchés (market place) ou des moteurs de recherches). Cette règlementation aspire à trouver un équilibre entre stimulation de l’innovation et protection des intérêts des utilisateurs de ces services afin que chacun puisse bénéficier des opportunités créées par la révolution numérique.

Le 13 février 2019, un accord politique a été trouvé entre le Parlement Européen, le Conseil de l’Union Européenne et la Commission Européenne sur un texte de compromis du règlement P2B (voir le texte complet ici). Ce texte vient d’être approuvé (le 20 février) par le Comité des représentants permanents (Coreper) et il a été soumis au vote de la Commission « Marché Intérieur » (le 21 février). Le texte devrait ensuite être adopté par le Parlement avant d’entrer en vigueur dans un délai de 12 mois à compter de sa publication au journal officiel de l’Union européenne.

Du texte de compromis, nous retenons les idées clés suivantes :

  • Plus de loyauté : l’accord prévoit notamment (i) d’encadrer plus précisément les décisions de restreindre, suspendre ou déréférencer des personnes, (ii) une accessibilité et intelligibilité renforcée de leurs CGU qui ne pourront être modifiées qu’après notification des entreprises utilisatrices au moins 15 jours à l’avance et (iii) une obligation de clarté concernant les termes de leurs relations contractuelles notamment concernant les clauses rétroactives, le droit de résiliation des contrats et l’accès aux données après expiration de ces derniers.
  • Plus de transparence : les acteurs soumis au règlement devront notamment (i) indiquer les principaux paramètres de classement des biens et services qu’ils proposent afin de permettre aux vendeurs d’optimiser leur visibilité et d’empêcher toute manipulation du système de classement (par exemple, les plateformes seront tenues d’informer les entreprises utilisatrices de l’existence d’accords contractuels ou de paiements de commissions supplémentaires justifiant les traitements différenciés) – ces règles font écho au cadre juridique français (voir notre article sur le cadre juridique français issue de la loi pour une République numérique) – et (ii) communiquer de manière exhaustive tous les avantages que les plateformes, agissant simultanément en qualité de place de marché et de vendeur, accordent à leurs propres produits et services par rapport à d’autres.
  • Plus de voies de règlements des litiges : le texte prévoit, entre autres, l’obligation pour les acteurs concernés de (i) mettre en place un système interne gratuit de traitement des réclamations (une exemption est prévue pour les plus petites plateformes) et de (ii) fournir aux entreprises davantage d’options de résolution extrajudiciaire des litiges notamment par l’intermédiaire de médiateurs spécialisés.
  • Plus de contrôle : il est prévu que (i) les associations professionnelles puissent intenter une action en justice pour obtenir la cessation de tout manquement aux règles et que (ii) les États membres puissent désigner des autorités publiques dotées de pouvoirs répressifs auxquelles les entreprises utilisatrices de plateformes pourront faire appel.

Le règlement P2B est sans aucun doute une nouveauté capitale pour le secteur du numérique et les intermédiaires qui opère sur ce marché. Étant donné son importance, nous écrirons plusieurs articles d’analyse lorsque le règlement sera publié au journal officiel.

Droit du Partage continuera naturellement à suivre ce sujet pour vous.

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Classé dans Evolution du cadre juridique, Obligations et responsabilité des plateformes

RGPD, la première sanction prononcée par la CNIL concerne Google

Nous vous l’avions annoncé dans notre précédent article (voir notre article sur les enjeux de l’année 2019) : les premières sanctions prononcées sur le fondement du Règlement général sur la protection des données personnelles (« RGPD ») devaient intervenir en 2019. Ce pronostic vient de se réaliser car le géant américain Google a été condamné à payer une amende de 50 millions d’euros (voir le texte complet de la délibération de la CNIL concernant Google).

Parmi ses nombreux services, Google a conçu un système d’exploitation pour les smartphones appelé « Android » qui compte plus de 27 millions d’utilisateurs en France. Pour l’utiliser, un compte utilisateur doit être créé, ce qui implique un traitement de données à caractère personnel, lequel est naturellement soumis aux conditions du RGPD.

Les associations de défense et de représentation des droits et libertés fondamentaux dans l’espace numérique « None Of Your Business » (« NOYB ») et la Quadrature Du Net (« QDN »), qui soutenaient que le RGPD n’était pas respecté par Google, sont à l’origine de la procédure ouverte par la CNIL concernant Google.

Cette décision de sanction mérite des commentaires sur les points essentiels.

1/ La compétence de la CNIL : pour Google, la CNIL aurait dû transmettre les plaintes reçues à l’autorité de protection des données irlandaise (la Data Protection Commission) qui serait l’autorité chef de file en raison la localisation de son établissement principal en Irlande. (i.e : désigner une autorité chef de file permet aux organismes mettant en œuvre des traitements transfrontaliers de bénéficier du mécanisme du « guichet unique » et de disposer ainsi d’un seul interlocuteur pour toutes leurs activités de traitement sur le territoire de l’Union Européenne).

En se fondant sur l’article 4 (16) et le considérant 36 du RGPD, la CNIL a considéré que la société Google Irlande Ltd n’était pas « l’établissement principal » de la société Google LLC dès lors qu’il n’est pas établi qu’elle dispose d’un pouvoir décisionnel quant aux traitements visés (c’est-à-dire, la capacité de détermination des finalités et des moyens du traitement).

En l’absence d’établissement principal permettant l’identification d’une autorité chef de file, la CNIL est compétente pour traiter les plaintes

2/ Les manquements aux obligations de transparence et d’information :  toute personne qui fait l’objet d’un traitement de données personnelles doit se faire transmettre une information claire, précise et accessible sur l’existence ainsi que les modalités du traitement. Il était reproché à Google de ne pas avoir fourni à ses utilisateurs une telle information.

Pour Google, le document intitulé « Règles de confidentialité et conditions d’utilisation » offre « une bonne vue d’ensemble des traitements mis en œuvre ». La société explique également que l’information des personnes doit s’apprécier de façon globale et qu’ainsi, en plus des divers documents mis à disposition, l’information est transmise par le biais d’autres modalités (messages électroniques adressés à l’utilisateur créant son compte l’informant de la possibilité de modifier les paramètres, mise en place d’un dashboard, fenêtre pop-up etc…) ou fait l’objet d’une rubrique dédiée (par exemple, Google indiquait que les informations relatives à la durée de conservation des données figuraient dans la rubrique « Exporter et supprimer vos informations » au sein des « Règles de confidentialité ». ).

Bien que saluant les progrès et efforts réalisés par Google ces dernières années, la CNIL considère que les exigences de transparence et d’information du RGPD ne sont pas respectées. Elle relève notamment que l’architecture générale de l’information choisie par le géant américain nécessite une démarche positive de l’utilisateur pour prendre connaissance d’informations complémentaires, qu’il devra ensuite recouper et comparer afin de comprendre quelles données sont collectées en fonction des différents paramètres choisis. La CNIL retient que l’exigence d’une information « aisément accessible » visée par le RGPD n’est pas atteinte… La formation restreinte a donc estimé que « la multiplication des actions nécessaires, combinée à un choix de titres non explicites ne satisfait pas aux exigences de transparence et d’accessibilité de l’information ».

3/ La base juridique du traitement : la nécessité d’avoir une « base juridique » (c’est-à-dire, un des fondements juridiques limitativement énumérés par le RGPD) est un autre grand principe auquel il ne peut être dérogé. Il était reproché à la société américaine de ne pas valablement recueillir le consentement des personnes concernées, sur lequel elle se fondait pour les traitements de personnalisation de la publicité, celui-ci devant présenter certaines caractéristiques.

Pour Google, le consentement des utilisateurs est suffisamment éclairé, spécifique et univoque.

La CNIL n’est pas de cet avis et retient que le consentement (i) n’est pas éclairé (notamment car l’information préalable est « excessivement disséminée »), (ii) n’est pas spécifique et univoque (notamment car le consentement n’est pas donné par le biais d’un acte positif par lequel la personne consent spécifiquement et distinctement au traitement de ses données à des fins de personnalisation de la publicité par rapport aux autres finalités de traitement puisque la case était masquée et pré-cochée par défaut, la possibilité de paramétrer ne suffisant pas à lever l’irrégularité) et (iii) n’est pas libre (notamment car l’utilisateur se voit contraint d’ « accepter en bloc » l’ensemble des traitements de données à caractère personnel mis en œuvre).

4/ La sanction : pour Google, la sanction consistant en une mise en demeure aurait représenté la mesure correctrice la plus adéquate. Pour justifier le montant de son amende (50 millions d’euros), la CNIL souligne que les manquements relevés à l’encontre de Google sont graves (il s’agit des dispositions dont la méconnaissance est la plus sévèrement sanctionnée en vertu de l’article 83 du RGPD). En effet, elle estime que ces traitements de données, clés dans le modèle économique de Google et générant des avantages considérables, ont une « ampleur considérable compte tenu de la place prépondérante qu’occupe le système d’exploitation Android». Elle relève par ailleurs que les manquements de Google perdurent au jour où la CNIL statue. Tout cela justifie la sanction pécuniaire qui se trouve doublée d’une sanction complémentaire de publicité (légitimée par la place prépondérante occupée par la société sur le marché des systèmes d’exploitation et de l’intérêt que représente la décision pour l’information du public). Et c’est peut-être là que se trouve la véritable sanction pour Google…

La QDN et NOYB, mandatés par près de 10.000 personnes, se félicitent d’avoir obtenu la première amende majeure depuis l’entrée en vigueur du RGPD, illustrant ainsi la mise en œuvre du nouvel arsenal répressif institué par celui-ci. Bien que la somme de 50 millions d’euros puisse paraître colossale, elle est à relativiser par rapport au maximum encouru (4% du chiffre d’affaires annuel global du précédent exercice).

Google, considérant que la sanction n’est pas justifiée au regard des efforts déjà déployés pour se conformer aux exigences du RGPD, a décidé d’exercer une voie de recours devant le Conseil d’État.

La bataille judiciaire continue et les prochaines décisions (à la fois de la CNIL et du Conseil d’État) seront intéressantes à étudier.

Droit du Partage continuera naturellement à suivre ces sujets pour vous.

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Classé dans Transport de personnes