Archives de Catégorie: Obligations et responsabilité des plateformes

Droit du partage, c’est fini – retrouvez nos réflexions sur le numérique dans la revue Third (www.third.digital)

Cela fait plusieurs mois que nous n’avons pas publié d’article sur Droit du partage.

Ce n’est pas par désintérêt pour les mutations engendrées par le numérique mais par une concentration toujours plus importante sur les sujets traités dans le cadre de la revue Third, que nous éditons.

Depuis 2018, nous nous intéressons à des grands thèmes de la révolution numérique en réunissant, au sein d’un même numéro, des expert.e.s de différents domaines pour que les points de vues se confrontent afin de donner une vision large et pluridisciplinaire de la nouvelle réalité engendrée par le numérique.

L’objectif de Third est de participer à la construction d’une culture numérique et de contribuer à former le plus grand nombre au décodage des enjeux de la révolution technologique que nous sommes en train de vivre.

Vous retrouverez ci-dessous les numéros déjà publiés :

Si vous ne les avez pas déjà lus, n’hésitez pas !

À bientôt pour de nouveaux échanges et de nouvelles réflexions passionnantes sur le numérique !

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Pas de droit à l’oubli mondial : l’arrêt Google du Conseil d’État du 27 mars 2020 le confirme !

En janvier 2019[1] (voir notre article sur le sujet), la société Google était condamnée à la plus grosse amende jamais prononcée par la CNIL (50 millions d’euros). Dans cette nouvelle affaire, elle échappera à toute sanction ! Pour mieux la comprendre, il faut remonter quelques années en arrière.

Le 10 mars 2016[2], par une délibération de la formation restreinte de la CNIL, la société Google Inc., exploitant le moteur de recherche Google, a été sanctionnée à hauteur de 100.000 euros, après une mise en demeure[3] demeurée infructueuse, de procéder au déréférencement du nom et prénom de plusieurs personnes physiques sur l’ensemble de ses extensions. Rappelons que le déréférencement est la technique qui permet de faire supprimer un ou plusieurs résultats fournis par un moteur de recherche à l’issue d’une requête (pour faciliter cette démarche, Google Inc. met à disposition un formulaire spécifique en ligne).

Plus précisément, il était reproché à la société Google Inc. d’avoir violé le droit pour une personne de s’opposer à ce que ses données personnelles fassent l’objet d’un traitement en vertu des articles 38 et 40 de la loi informatique et libertés (dans leur ancienne rédaction[4]). En effet, Google Inc. refusait de déréférencer les liens renvoyant au contenu litigieux sur l’ensemble des extensions de son moteur de recherche et n’acceptait de le faire que pour celles des pays européens. Autrement dit, en reprenant le nom et prénom des personnes concernées, quiconque pouvait avoir accès aux pages web litigieuses à partir d’une extension non-européenne du moteur de recherche.

Au soutien de sa position, Google Inc. insistait notamment sur le fait que (i) la CNIL excédait ses pouvoirs en voulant imposer une mesure ayant une portée extraterritoriale et (ii) qu’un déréférencement mondial contrevenait de manière disproportionnée à la liberté d’expression de l’auteur du contenu et à la liberté d’information des internautes (puisqu’en supprimant les liens renvoyant vers le contenu litigieux, ce dernier ne serait plus accessible ni visible depuis Google, le plus gros moteur de recherche au monde).

Google Inc. a introduit un recours auprès du Conseil d’État dans le but obtenir l’annulation de la sanction dont elle faisait l’objet. Par un arrêt du 19 juillet 2017[5], le Conseil d’État a transmis à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) trois questions préjudicielles à des fins de clarification de l’interprétation du droit européen. Le 24 septembre 2019[6], la CJUE a rendu un arrêt favorable à l’interprétation de Google Inc. L’affaire étant en état d’être jugée, le Conseil d’État a rendu son arrêt le 27 mars 2020 et a précisé la portée territoriale du droit au déréférencement.

1/ Principe : l’absence d’un droit au déréférencement mondial

Dans un premier temps, le Conseil d’État rappelle la portée géographique du droit au déréférencement, précisée par la CJUE dans son arrêt du 24 septembre 2019. À cet égard, la Cour disposait que « lorsque l’exploitant d’un moteur de recherche fait droit à une demande de déréférencement en application de ces dispositions, il est tenu d’opérer ce déréférencement non pas sur l’ensemble des versions de son moteur, mais sur les versions de celui-ci correspondant à l’ensemble des Etats membres » (§73). La Cour ajoutait que cette mesure de déréférencement pouvait être accompagnée de mesures permettant d’empêcher ou de décourager les internautes effectuant une recherche, d’avoir accès aux liens litigieux. 

Or, le Conseil d’État expose que la formation restreinte de la CNIL a sanctionné la société Google Inc. au motif qu’elle refusait de faire droit à une demande de déréférencement sur l’ensemble des noms de domaine de son moteur de recherche et se bornait à supprimer les liens en cause des seuls résultats affichés sur ses extensions européennes. Qui plus est, la CNIL estimait insuffisant le mécanisme de géo-blocage proposé par Google Inc. en complément de son déréférencement à l’échelle de l’Union européenne.

Ainsi, transposant le raisonnement de la CJUE, le Conseil d’État ne fait pas droit à l’interprétation de la CNIL. Il juge, en effet, qu’en sanctionnant la société Google Inc. au motif que seule une mesure s’appliquant à l’intégralité du traitement lié au moteur de recherche pourrait répondre à l’exigence de protection des données personnelles telle que consacrée par la CJUE, « la formation restreinte de la CNIL a entaché la délibération en cause, d’erreur de droit[7] » (§7).

2/ Exception : un droit au déréférencement mondial à l’issue d’une mise en balance des intérêts minutieuse

Si le principe tient à l’absence d’un droit au déréférencement mondial, le Conseil d’État y apporte, toutefois, quelques nuances :

  • Reprenant les arguments invoqués en défense par la CNIL, le Conseil d’État rappelle que la CJUE précisait dans l’arrêt précité[8] que «si (…) le droit de l’Union n’impose pas, en l’état actuel, que le déréférencement auquel il serait fait droit porte sur l’ensemble des versions du moteur de recherche en cause, il ne l’interdit pas non plus » (§72). Elle ajoute, néanmoins, que si les autorités de contrôle ou judiciaires d’un Etat membre demeurent compétentes pour enjoindre un déréférencement mondial, c’est à la condition qu’ « une mise en balance entre, d’une part, le droit de la personne concernée au respect de sa vie privée et à la protection des données à caractère personnel la concernant et, d’autre part, le droit à la liberté d’information » (§72), ait été réalisée au préalable. En d’autres termes, cette mise en balance implique de mesurer de manière casuistique l’ampleur de l’atteinte aux droits susmentionnés dans l’hypothèse où le déréférencement mondial serait prononcé et, à l’inverse, dans le cas où il ne le serait pas. À l’issue de cette analyse, il en résultera généralement que le droit le touché par la décision l’emportera sur l’autre.
  • Par ailleurs, le Conseil d’État rappelle que lorsqu’il est saisi d’une requête dirigée contre une sanction prononcée par la CNIL et que celle-ci aurait pu être prise sur un autre fondement que celui retenu par l’autorité de sanction, le juge administratif peut substituer la base légale de la décision attaquée « sous réserve que la personne sanctionnée [ici la société Google Inc.] ait disposé des garanties dont est assortie l’application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée »[9] afin que celle-ci ne soit plus entachée d’erreur de droit.

Appliqué à l’espèce, le Conseil d’État rejette la demande de la CNIL tenant à la substitution du fondement initialement choisi pour sanctionner la société Google Inc. par le raisonnement de la CJUE reconnaissant aux autorités de contrôle nationales le pouvoir d’ordonner un déréférencement sur l’ensemble des versions du moteur de recherche.  Pourquoi ? Parce que le Conseil d’État observe qu’en l’état actuel du droit, le législateur français n’a pas adopté de dispositions législatives permettant d’ordonner un déréférencement hors de l’Union européenne. Il estime, ainsi, qu’un fondement jurisprudentiel n’est pas valable pour réaliser cette substitution.  En outre, quand bien même ce fondement le serait, le Conseil d’État souligne que la faculté d’exiger un déréférencement mondial ne peut être ouverte qu’au terme d’une balance des intérêts, chose que la formation restreinte de la CNIL n’a pas effectué.

Eu égard à ce qui précède, le Conseil d’État juge qu’un déférencement mondial ne peut être ordonné par la CNIL et que, par voie de conséquence, la société Google Inc. est fondée à demander l’annulation de la délibération attaquée.

3/ Le résultat incertain d’une future mise en balance des intérêts

Si le raisonnement entrepris par le Conseil d’État semble tout à fait cohérent au regard du droit européen et eu égard à l’absence de mise en balance des intérêts, on peut, toutefois, regretter qu’il ne se soit pas prononcé sur les mesures de géo-blocages mises en œuvre par Google Inc. à l’issue de sa mise en demeure. En effet, ces dernières semblaient permettre de bloquer l’accès aux liens litigieux pour les adresses IP réputées localisées dans l’Etat de résidence du bénéficiaire du droit au déréférencement à la suite d’une recherche effectuée à partir de son nom et ce, indépendamment de la déclinaison du moteur de recherche utilisée par l’internaute. Dès lors, il aurait été intéressant de voir si, à l’issue de la mise en balance des intérêts, ces mesures de géo-blocages auraient été considérées comme suffisantes pour faire droit aux arguments de Google Inc. et pour refuser de prononcer le déréférencement mondial.

En tout état de cause, il reste désormais à savoir comment cette mise en balance sera mise en œuvre par les différentes autorités nationales de protection des données personnelles. De son côté, dans sa délibération de 2016[10], la CNIL avait d’ores et déjà relevé que ces mesures n’étaient pas satisfaisantes en ce sens que l’information déréférencée demeurait consultable par tout internaute situé en dehors du territoire concerné par la mesure de filtrage et, d’autre part, qu’un contournement de cette mesure par les utilisateurs concernés restait possible (par exemple, en utilisant un VPN).

Droit du Partage continuera naturellement de suivre ces sujets pour vous.

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[1] Délibération n°SAN-2019-001 du 21 janvier 2019 Délibération de la formation restreinte n° SAN – 2019-001 du 21 janvier 2019 prononçant une sanction pécuniaire à l’encontre de la société GOOGLE LLC.

[2] Délibération de la formation restreinte n° 2016-054 du 10 mars 2016 prononçant une sanction pécuniaire à l’encontre de la société X.

[3] Décision n° 2015-047 du 21 mai 2015 mettant en demeure la société X.

[4] Aujourd’hui, « le droit à l’effacement » ou aussi dit « droit à l’oubli » est consigné à l’article 17 du Règlement sur la protection des données à caractère personnel (RGPD) et 40 de la loi informatique et libertés.

[5] CE, Section du contentieux, 10ème et 9ème chambres réunies ,19 juillet 2017, Google Inc., décision N°399922.

[6] CJUE (grande chambre), 24 septembre 2019, Google LLC contre Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), affaire C-507/17.

[7] L’erreur de droit peut résulter d’un détournement de procédure ou d’un défaut de base légale (par exemple, lorsque, comme en l’espèce, l’administration n’a pas fondé sa décision sur la bonne norme).

[8] CJUE (grande chambre), 24 septembre 2019, Google LLC contre Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), affaire C-507/17.

[9] Cette substitution se fait soit à la demande des parties soit de la propre initiative du juge (et dans cette seconde hypothèse, uniquement si les parties ont eu la possibilité de présenter des observations sur ce point).

[10] Délibération de la formation restreinte n° 2016-054 du 10 mars 2016 prononçant une sanction pécuniaire à l’encontre de la société X.

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Ce qu’il faut retenir de la censure du dispositif des « chartes » pour les travailleurs des plateformes par le Conseil constitutionnel

Le 20 décembre 2019, le Conseil constitutionnel a rendu une décision sur la constitutionnalité de la loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités[1] (dite « LOM ») sur une thématique qui, à première vue, n’entrait pas dans le champ « naturel » d’un texte dédié à la mobilité : les travailleurs indépendants des plateformes.

La décision était très attendue, notamment concernant l’article 44 de la LOM, relatif à l’instauration d’une charte sociale que les plateformes en ligne pouvaient discrétionnairement adopter en contrepartie d’une présomption de non-salariat des travailleurs indépendants qui travaillent grâce à leurs services.

C’est précisément sur cet article que Droit du partage se focalisera aujourd’hui.

  1. Contexte

Dans un contexte de sollicitations de plus en plus nombreuses de requalifications en contrat de travail[2] par les travailleurs indépendants des plateformes en ligne[3], l’article 44 de la LOM, qui comptait parmi les dispositions les plus contestées, envisageait leur protection par le biais d’une charte sociale. En effet, il était prévu que les plateformes puissent prendre, de manière facultative, dans une charte, une série d’engagements pour protéger les travailleurs utilisant leur service en contrepartie de la garantie que ces dits engagements ne puissent être utilisés par un juge à des fins de requalification des contrats conclus avec ces derniers. C’est en ce sens que l’on parle, de manière générale, de « présomption de non-salariat ».

Toutefois, le législateur n’entendait offrir cette possibilité qu’aux plateformes mettant en relation, par voie électronique, des personnes :

  • en vue de la fourniture des services de « conduite d’une voiture de transport avec chauffeur » (telles que Uber, Marcel, Bolt…) ;
  • en vue de la fourniture des services « de livraison de marchandises au moyen d’un véhicule à deux ou trois roues, motorisé ou non »[4] (par exemple, les plateformes de livraison de repas Deliveroo ou Frichti).

En somme, lorsque le juge n’avait d’autres éléments que ceux consignés dans la charte, cette dernière constituait un abri pour les plateformes contre le risque de requalification en contrat de travail et leur permettait d’éviter les lourdes obligations afférentes au statut de salarié (salaires, charges sociales, indemnités de rupture etc.). Il est à noter que ces requalifications sont redoutables pour certaines plateformes dont le modèle économique repose sur le fait que les travailleurs indépendants supportent eux-mêmes les charges sociales liées à leurs activités.

  1. Les critiques portées contre le dispositif des chartes

Les dispositions créées par l’article 44 étaient contestées pour plusieurs raisons clefs.

  • Absence de portée normative. L’établissement de cette charte étant facultatif, sa valeur juridique étant incertaine et puisqu’aucun fondement légal n’est nécessaire pour l’établissement d’un tel engagement unilatéral, les députés soutiennent que les dispositions de l’article 44 de la LOM sont dépourvues de portée normative. Or, fustigeant les lois bavardes et incantatoires, une décision du Conseil constitutionnel du 21 avril 2005[5], rappelait déjà que « la loi a pour vocation d’énoncer des règles et doit par suite être revêtue d’une portée normative ».
  • Incompétence négative. Le législateur n’aurait pas épuisé sa compétence conformément à l’article 34 de la Constitution qui lui impose, entre autres, de déterminer les principes fondamentaux du droit du travail. Plus précisément, il est reproché au législateur de ne pas avoir suffisamment défini les éléments devant figurer dans la charte.
  • Violation du principe d’égalité devant la loi[6]. Dans la mesure où l’adoption de cette charte est facultative, une différence de traitement injustifiée entre, les travailleurs en relation avec une plateforme s’étant dotée d’une charte et ceux en relation avec une plateforme ne disposant pas d’une telle possibilité ou ayant refusé d’en établir une, émergerait.
  • Restriction du pouvoir de requalification du juge et violation du droit au recours juridictionnel effectif. L’article 44 permettait aux plateformes, après avoir consulté les travailleurs, d’homologuer leur charte en saisissant l’autorité administrative compétente[7] et de garantir, à ce titre, que « l’établissement de la charte et le respect des engagements qu’elle prévoit ne [puissent] caractériser l’existence d’un lien de subordination juridique entre la plateforme et les travailleurs » (point 8). Celle-ci est contestée par les députés sur le fondement du droit à un recours juridictionnel effectif car l’homologation revient à limiter les éléments sur lesquels le juge peut se fonder pour caractériser l’existence d’un lien de subordination (élément clef pour requalifier un travailleur indépendant en salarié) défini par la jurisprudence comme « l’exécution d’un travail sous l’autorité de l’employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné »[8].
  1. L’inconstitutionnalité de la portée juridique de la charte homologuée

Après avoir écarté les griefs tenant à l’absence de portée normative de la loi, de l’incompétence négative du législateur et de l’atteinte au principe d’égalité devant la loi, le Conseil constitutionnel a caractérisé l’inconstitutionnalité de la restriction au pouvoir de requalification du juge à la suite de l’homologation de la charte lorsqu’elle repose « sur le respect des engagements pris par la plateforme ».

Pourquoi ? Car il est jugé inconstitutionnel qu’un nombre considérable d’éléments permettant de prouver l’existence d’un lien de subordination entre la plateforme et le travailleur se voient figés dans une charte et prive, dans certains cas, les juges de rétablir l’exacte qualification d’une relation de travail.

En effet, lesdits engagements pris par la plateforme couvrent un champ extrêmement large de l’exercice de l’activité professionnelle de la plateforme (conditions d’exercice de l’activité, conditions de travail…). Mais ce qui pose difficulté est surtout, selon le Conseil Constitutionnel, la possibilité pour les chartes de préciser « la qualité de service attendue, les modalités de contrôle par la plateforme de l’activité et de sa réalisation et les circonstances qui peuvent conduire à une rupture des relations commerciales entre la plateforme et le travailleur »[9]. Cette possibilité peut, en effet, faire en sorte que l’on retrouve dans les chartes des indices liés au pouvoir de contrôle et de sanction d’une plateforme sur ses travailleurs qui sont deux des trois critères du lien de subordination. Or, si ces deux critères ne peuvent être utilisés par le juge, il pourrait, de facto, ne pas avoir assez d’éléments pour requalifier le contrat.

Par conséquent, le Conseil constitutionnel censure les mots « et le respect des engagements pris par la plateforme dans les matières énumérées aux 1° à 8° du présent article » (point 28) figurant à l’alinéa 39 de l’article 44 de la LOM car par cette disposition, le législateur a permis aux plateformes de fixer des règles qui relèvent de la loi. En revanche, le reste de l’alinéa disposant qu’un lien de subordination ne saurait être caractérisé par le simple fait que la plateforme ait établi une charte n’est pas contraire à la Constitution.

  1. Vers un statut hybride du travailleur indépendant ?

Bien qu’ayant censuré une partie de l’article 44 de la LOM, le Conseil constitutionnel semble valider le système de charte sociale établi par le législateur qui permet de garantir un certain nombre de droits inspirés de ceux des salariés tout en conservant la flexibilité liée à leur statut d’auto-entrepreneurs.

Toutefois, si cette censure ne remet pas en cause l’existence même de cette charte, celle-ci ne sera plus hors de portée des juges et cela réduit probablement l’intérêt pour les plateformes de s’en doter dans la mesure où les éléments y figurant pourraient désormais les desservir.

Rappelons que si la volonté des juridictions de protéger les « travailleurs des plateformes » sur le plan social est de plus en plus prégnante, comme a pu en témoigner le récent arrêt Uber de la Cour de cassation du 4 mars 2020[10], aucun droit social des plateformes n’est encore définitivement établi.

Droit du partage continuera naturellement de suivre ces sujets pour vous.

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[1] Loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités

[2] La requalification d’un contrat en contrat de travail implique le passage à un régime de salariat

[3] Cf. arrêt n°374 Cass. soc.,4 mars 2020 Uber (19-13.316) et arrêt n°1737 Cass. soc., 28 novembre 2018, Take eat easy, (17-20.079)

[4] Article L. 7342-8 du Code du travail

[5] Déc. n° 2005-512 DC, 21 avr. 2005, JO 24 avr. 2005, p. 7173

[6] Principe consacré par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC)

[7] Il n’est pas précisé dans la loi de quelle autorité administrative il s’agit

[8] Soc., 13 nov. 1996, Société générale, n° 94-13187, Bull. V n° 386

[9] Alinéa 7 de l’article L. 7342-9 du Code du travail

[10] Arrêt n°374, Cour de cassation, ch. sociale, 4 mars 2020, Uber (19-13.316)

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L’arrêt Airbnb : une étape historique dans la construction du droit des plateformes

Airbnb est un service de la société de l’information !

Droit du partage attendait cette décision avec impatience et nous considérons qu’il s’agit là d’une étape décisive dans la construction du droit des plateformes de mise en relation, puisque l’arrêt s’attaque au premier élément du raisonnement : la définition juridique de la plateforme.

Bien qu’aboutissant à un résultat différent, l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE ») le 19 décembre 2019 s’inscrit directement dans la ligne de jurisprudence des arrêts Uber de décembre 2017[1] et d’avril 2018[2] (voir notre analyse de l’arrêt de 2017).

La Cour fournit ainsi des clés de lecture très précises sur les conséquences juridiques de certaines fonctionnalités du service de mise en relation d’Airbnb, ce qui permet notamment de guider les plateformes dans la structuration de leur business model.

Pourquoi est-ce si important ? Droit du partage vous l’explique simplement.

L’affaire et les questions posées à la Cour de justice de l’Union européenne

L’affaire portée devant la CJUE a été rendue à la suite d’une demande de décision préjudicielle introduite par le Tribunal de Grande Instance de Paris (une demande de décision préjudicielle est une question posée par une juridiction d’un État membre à la CJUE, portant sur l’interprétation du droit de l’Union européenne).

Cette question s’inscrit le cadre d’une procédure pénale en France dirigée à l’encontre d’Airbnb Ireland, l’entité du groupe Airbnb qui contracte avec les utilisateurs européens. L’auteur de la plainte (l’AHTOP, une association professionnelle qui représente les intérêts des acteurs de l’hébergement et du tourisme professionnels) soutenait notamment qu’Airbnb ne se contentait pas de mettre en relation des loueurs et des locataires, mais que la société irlandaise exerçait une véritable activité d’agent immobilier au sens de la Loi Hoguet, sans détenir de carte professionnelle et sans respecter certaines obligations lui incombant à ce titre, s’exposant ainsi à des sanctions pénales.

Au cours de la procédure pénale, le juge d’instruction en charge de l’affaire a demandé à la CJUE si Airbnb devait être qualifié d’agent immobilier ou si au contraire l’activité d’Airbnb ne relevait pas de la notion de « service de société de l’information » au sens de la directive « commerce électronique »[3] et de la directive 2015/1535[4].

Il est important de s’arrêter sur cette notion essentielle pour les intermédiaires numériques, déjà au centre des débats dans les décisions Uber.

La notion de « service de la société de l’information » et le régime qui en découle

Ainsi que le rappelle la CJUE, un service de la société de l’information est défini par les textes européens comme un « service presté normalement contre rémunération, à distance par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services »[5].

Le fait de répondre à cette définition est d’une importance déterminante. En effet, la directive commerce électronique, adoptée en 2000, interdit aux États membres de l’Union européenne d’imposer aux services de la société de l’informations des lois ou des réglementations qui restreignent la libre prestation de services, sauf à respecter certaines conditions bien précises, et notamment notifier la mesure envisagée à la Commission européenne. En l’absence d’une telle notification, la sanction est l’inopposabilité de la mesure à la personne concernée.

Ainsi, dès lors qu’une entreprise a une activité qui relève de cette notion, cela signifie en principe que son activité peut seulement être règlementée dans les conditions imposées par les textes européens. C’est évidemment un atout majeur, en particulier pour des modèles numériques qui bousculent les acteurs établis sur un marché, dont l’activité traditionnelle est elle généralement réglementée.

La CJUE a donc eu l’occasion de se prononcer sur le modèle de deux acteurs historiques de l’économie des plateformes. Dans un cas, le service d’intermédiation n’est pas un service de la société de l’information (Uber), dans l’autre, il en est un (Airbnb).

Quels sont donc les critères retenus par la CJUE pour déterminer si une plateforme répond bien à cette définition ?

Les clés de lecture fournis par la CJUE

Pour qualifier Airbnb de véritable intermédiaire numérique, la CJUE retient principalement trois critères qui avaient déjà été esquissés dans les décisions Uber :

1/ La caractéristique essentielle du service d’intermédiation : la CJUE considère que la caractéristique essentielle de la plateforme exploitée par Airbnb consiste en « une liste structurée des lieux d’hébergement disponibles (…) et correspondant aux critères retenus par les personnes recherchant un hébergement de courte durée ». Celle-ci « ne tend pas uniquement à la réalisation immédiate d’une prestation d’hébergement » mais plutôt à « fournir un instrument facilitant la conclusion de contrats portant sur des opérations futures ». En résumé, Airbnb ressemble plus à un site de petites annonces qu’à un agent immobilier.

2/ Le caractère indispensable du service d’intermédiation : la CJUE considère que le service fourni par Airbnb n’est « aucunement indispensable à la réalisation de prestations d’hébergement tant du point de vue des locataires que des loueurs y recourant, tous deux disposant de nombreux autres canaux (…) tels que les agences immobilières, les petites annonces (…) ou encore les sites internet de locations immobilières ». En d’autres termes, Airbnb n’est qu’un acteur parmi d’autres et sans lui la location courte durée continuerait d’exister.

3/ Le prix : la CJUE relève qu’Airbnb ne fixe ni ne plafonne le prix des biens mis en location : « tout au plus, [Airbnb] met à disposition un instrument optionnel d’estimation du prix de leur location au regard des moyennes de marché tirées de cette plateforme, laissant au seul loueur la responsabilité de la fixation du loyer ».

C’est à l’aune de ces trois critères que la CJUE juge que le service fourni par Airbnb est bien un service de la société de l’information. On pouvait déjà entrevoir les premiers éléments de cette grille d’analyse dans les arrêts Uber.

La CJUE avait ainsi relevé qu’Uber avait « [créé] (…) une offre de service de transports » et que sans Uber, « [les] chauffeurs ne seraient pas amenés à fournir des services de transport » et les passagers « n’auraient pas recours aux services desdits chauffeurs » ce qui revient à dire que le service d’intermédiation est indispensable à la réalisation du service de transport créé par Uber.

En outre, la Cour avait considéré qu’Uber exerçait « une influence décisive » sur la prestation de transport car Uber fixait le prix, contrôlait la qualité des véhicules et contrôlait le comportement des chauffeurs, en les sanctionnant.

Enfin, et cela est tout aussi important, la CJUE considère que de nombreuses fonctionnalités propres au service fourni par Airbnb « présentent un caractère accessoire » car « elles ne constituent pas pour les loueurs une fin en soi, mais un moyen de bénéficier du service d’intermédiation fourni par Airbnb ». Il en est ainsi de :

  • la fourniture aux loueurs d’un « canevas définissant le contenu de leur offre, un service optionnel de photographie du bien mis en location ainsi qu’un système de notation des loueurs et des locataires accessibles aux futurs loueurs et locataires». La CJUE considère même que ces instruments « participent de la logique collaborative inhérente aux plateformes d’intermédiation », ce qui montre à quel point l’analyse de la CJUE est poussée et s’inscrit dans son temps ;
  • le fait pour Airbnb de collecter les paiements par l’intermédiaire de sa filiale anglaise, qui ne constitue pour la Cour que des « modalités de règlement (…) communes à un grand nombre de plateformes électroniques » et « dont la seule présence ne saurait modifier la nature même du service d’intermédiation » ; et
  • le fait de fournir une garantie sur les dommages et une assurance de responsabilité civile n’a pas plus d’influence sur la qualification du service d’Airbnb.

Vers une définition unique de l’intermédiaire numérique ?

Ces décisions et les critères qui sont retenus permettent d’esquisser la définition juridique de l’intermédiation numérique. Il sera donc très intéressant de suivre l’évolution de la jurisprudence de la CJUE, qui a d’ailleurs vocation à s’appliquer dans toute l’Union européenne.

A titre de comparaison, en 2016, la Commission européenne s’était essayée au même exercice et avait considérée dans une communication [6] (n’ayant donc pas de force obligatoire) qu’une plateforme devait être considérée comme un service de la société de l’information sur la base de trois critères :

1/ la fixation du prix, ce qui n’est pas surprenant, car ce critère revient systématiquement ;

2/ la fixation des « conditions contractuelles essentielles», ce qui est un peu vague ; et

3/ la « propriété des actifs principaux», ce qui est n’est pas inintéressant quand on sait qu’Uber a déjà loué les véhicules aux chauffeurs inscrits sur sa plateforme, ou qu’Airbnb s’est lancé dans l’architecture et commence à conclure des partenariats pour construire des « immeubles Airbnb » (sans en être toutefois totalement propriétaire).

En France, il existe une définition de la plateforme à l’article L.111-7 du Code de la consommation et il faut ajouter à cela l’article L.7342-1 du Code du travail, qui dispose que lorsque la plateforme « détermine les caractéristiques de la prestation de service fournie et fixe son prix », elle a une responsabilité sociale.

Ces différents textes et décisions ne sont pas pour autant contradictoires. Il y semble y avoir un consensus pour dire que lorsqu’une plateforme fixe le prix et / ou a une forte influence (« décisive », selon les termes de la CJUE) sur les caractéristiques du service qu’elle permet, il est à tout le moins logique que son activité soit réglementée, et qu’elle perde en quelque sorte la protection naturelle découlant du statut d’intermédiaire.

Ces éléments relatifs à la définition de la plateforme ont également un impact sur le régime de responsabilité qui pourrait en découler. A ce sujet, nous avions plaidé en novembre 2017 pour un régime de responsabilité qui dépendrait notamment de critères comme la fixation du prix et la détermination des caractéristiques essentiels de la prestation.

Nul doute que la construction du droit des plateformes n’en est qu’à ses débuts mais il est certain que l’arrêt Airbnb constitue une étape décisive.

Droit du partage continuera naturellement de suivre ces sujets pour vous.


[1] Aff. C-434-15, Asociación Profesional Elite Taxi contre Uber Systems SpainSL.

[2] Aff. C-320/16, Uber France SAS.

[3] Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur («directive sur le commerce électronique»)

[4] Directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information

[5] Directive 2015/1535, article 1.1.b)

[6] https://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2016/FR/1-2016-356-FR-F1-1.PDF

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Plateformes et obligations fiscales : application du nouveau régime des articles 242 bis et 283 bis du Code général des impôts

Avec le 1er janvier de chaque année viennent les bonnes résolutions et l’entrée en vigueur de nouveaux textes ou dispositifs juridiques.

Depuis 2015/2016, les sociétés qui opèrent des plateformes en ligne ou des marketplaces font l’objet d’obligations toujours plus nombreuses, que ce soit des règles numériques (ex : transparence des algorithmes ou données personnelles) ou sectorielles (ex : droit des transports pour les nouvelles mobilités). Ce mouvement, qui se constate tant à l’échelle nationale qu’européenne (en dernier lieu, nous vous renvoyons à notre article sur le règlement européen Platform to business qui régit les relations entre les plateformes et les utilisateurs professionnels), ne nous semble pas prêt de s’arrêter si l’on se fie aux récentes déclarations de la nouvelle Commission Européenne (notamment, en ce qui concerne le Digital Services Act).

Pour l’heure, nous souhaitons revenir sur le nouveau régime des obligations fiscales applicables aux opérateurs de plateformes de mise en relation au 1er janvier 2020, lequel se concentre dans 2 articles du Code général des impôts :

Article 242 bis 

Pour être synthétique (si vous souhaitez des détails, consultez cet article détaillé), les fondamentaux de l’article 242 bis sont maintenus, de sorte que les sociétés opérant des plateformes numériques doivent :

1/ transmettre, à chaque transaction, une information sur les obligations fiscales et sociales des utilisateurs. Le non-respect de cette obligation est désormais sanctionné d’une amende forfaitaire globale fixée dans la limite d’un plafond de 50.000 euros (auparavant, 10.000 euros).

2/ envoyer à chaque utilisateur, avant le 31 janvier de chaque année, un récapitulatif annuel comprenant les informations listées dans les textes (dont certaines sont nouvelles).

La principale nouveauté du dispositif est que les opérateurs de plateformes en ligne doivent déclarer à l’administration fiscale les sommes perçues par leurs utilisateurs et transmettre certaines informations (les conditions sont précisées par le 3° de l’article 242 bis du Code général des impôts et les textes d’application). À défaut, la société est susceptible d’être sanctionnée par une amende de 5% des sommes non déclarées. En particulier, il nécessaire de s’assurer que le format de transmission est celui attendu par l’administration et que cette démarche pourra être réalisée dans les délais (voir ce site alimenté par la DGFip qui permet de mieux comprendre la mise en oeuvre pratique de ce texte).

Si le dispositif de l’article 242 bis est étoffé, nous attendons de voir si sa mise en oeuvre technique (en particulier pour la transmission des informations à l’administration fiscale) et juridique (en particulier l’existence ou non de sanctions) révélera une ambition de fort contrôle de la part de l’administration.

Article 283 bis

Pour être synthétique (si vous souhaitez des détails, consultez cet article détaillé), ce régime juridique (applicable aux opérateurs de plateformes en ligne définis à l’article L. 111-7 du Code de la consommation qui dépassent un seuil de connexions de 5 millions de visiteurs uniques par mois) vise à permettre une lutte contre les pertes de recettes fiscales en matière de TVA.

Le mécanisme est progressif puisque l’administration fiscale signalera à la plateforme le.s utilisateur.s assujetti.s qui se soutrairai.en.t à ses.leurs obligations relatives à la TVA afin qu’elle puisse prendre des mesures adéquates. Si les présomptions de fraude persistent, alors que la plateforme a notifié les mesures prises pour rectifier la situation, l’administration pourra mettre la plateforme en demeure. Si aucune mesure supplémentaire n’est prise ou que l’utilisateur n’est pas exclu, la plateforme pourrait être solidairement responsable du paiement de la TVA.

Les conditions de mise en oeuvre semblent complexes et il sera intéressant de voir les premiers cas d’usage de cet article.

***

Tous les acteurs du numériques exploitant ou opérant une plateforme en ligne doivent tenir compte de ces règles et en tirer des conséquences juridiques dans leur fonctionnement opérationnel.

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Référencement naturel : la guerre des mots clés sur les moteurs de recherches

Moteur de recherches, référencement et mots clés : voici des termes qui contribuent directement au succès d’une entreprise sur internet. Être facilement identifié en ligne et capter le trafic des internautes sont des enjeux clés pour toutes les entreprises qui ont une présence digitale. Par conséquent, l’optimisation de sa visibilité dans les pages de recherche nécessite d’optimiser les moteurs de recherche (search engine optimization ou SEO) mais également de construire des stratégies d’acquisition de trafic avec des mots clés (par exemple, grâce aux « AdWords » de Google).

Pour maximiser sa présence dans les pages de résultats, il est possible de faire l’acquisition de mots clés identifiants un concurrent et/ou ses services. Cette pratique a vu naître un contentieux spécifique qui a 2 facettes principales.

1/ La situation du concurrent : les décisions de justice rendues ces dernières années ont fait émerger le principe selon lequel le fait de choisir comme mot clé la marque d’un concurrent ne constitue pas ipso facto un acte de contrefaçon. En revanche, cette situation peut devenir critiquable lorsqu’il existe une atteinte à la fonction de marque pour l’identification du produit ou service (en particulier, s’il y a ou peut y avoir une confusion entre les produits ou services). Par ailleurs, cette action en contrefaçon peut être accompagnée de demandes fondées sur la concurrence déloyale, laquelle pourrait être caractérisée par le parasitisme ou le détournement de clientèle. Dans ce cas, le demandeur devra établir un comportement fautif attentatoire à une concurrence paisible, ce qui impose de démontrer des actes supplémentaires à l’acquisition de mots clés permettant de caractériser la faute (par exemple, la rédaction de libellés dans la page de résultats favorisant la confusion ou de nature à induire l’internaute en erreur).

Dans un récent arrêt du 5 mars 2019 (voir ici la décision complète), la Cour d’appel de Paris a condamné une société (Rue du Commerce) pour contrefaçon de marque (Carré Blanc) mais pas pour concurrence déloyale, ce qui apporte des précisions intéressantes.

En ce qui concerne la contrefaçon, il a été retenu que le mot clé « Carré Blanc » était utilisé dans les annonces snippet, les URL et la page du site pour préciser le type d’article recherché (par exemple, un peignoir ou une couette). Les juges d’appel retiennent que « cette insertion répétée permet d’améliorer le référencement du site en cas de nouvelle recherche par un internaute sur les mêmes mots clés et découle d’un choix de la société Rue du Commerce dans l’organisation de son site et notamment dans le lien vers la page d’index et dans la rédaction de l’extrait, même si le site n’a pas de contrôle sur les mots-clés définis par l’internaute » et que « cette répétition du signe carré blanc dans le titre, dans l’adresse URL et dans l’extrait à deux reprises porte atteinte à la fonction d’origine de la marque, en ce qu’elle est de nature, s’agissant d’un référencement naturel, à laisser l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif penser que des produits de marque carré blanc lui seront proposés sur ce site ».

En ce qui concerne la concurrence déloyale, il a été jugé que « la mise en place de techniques de référencement afin de promouvoir les pages internet du site de la société Rue du Commerce ayant pour titre carré blanc et d’améliorer son classement dans les meilleurs résultats du moteur de recherche google relève d’une démarche commerciale afin de mettre en avant ces produits et de démarcher les clients, et ne peut caractériser un comportement déloyal que s’il a pour effet de détourner effectivement le consommateur de la société concurrente de Rue du Commerce, qui en subirait une perte de son chiffre d’affaires ». En l’occurrence, les juges ont relevé que, malgré la stratégie de Rue du Commerce visant à améliorer son référencement naturel, ce site n’est pas systématiquement placé en premier et que la société Carré Blanc ne démontrait pas de baisse de visites ou de chiffre d’affaires.

Ces éléments permettent d’affiner la compréhension des éléments retenus par les juridictions et de renforcer la construction de stratégies de référencement naturel sur les moteurs de recherche.

2/ La situation du moteur de recherche : en plus de l’action contre le concurrent, l’entreprise dont la marque est utilisée comme mot-clé pourrait s’interroger sur le rôle et l’étendue de la responsabilité des moteurs de recherche puisqu’il s’agit de l’outil technologique qui référence les contenus. En effet, lorsque leurs clients sélectionnent des mots clés et choisissent, à cette occasion des marques et/ou des éléments distinctifs de concurrents, la question de la responsabilité de cet intermédiaire numérique peut donc légitimement se poser.

Dans la jurisprudence récente, les moteurs de recherche (au premier rang desquels Google) ont été visé par plusieurs actions (par exemple, les procédures initiées par Louis Vuitton). La principale critique était de permettre à des annonceurs d’acheter des mots-clés correspondant aux signes distinctifs du concurrent. Parmi les décisions importantes, on peut faire référence à l’arrêt précité de la Cour de justice qui affirme notamment le principe selon lequel il est possible d’agir en responsabilité si le prestataire a eu connaissance du caractère illicite des activités.

Derrière ce cas spécifique, il s’agit en réalité de la question de la responsabilité de l’intermédiaire en ligne qui se trouve à la frontière des qualifications d’ « éditeur » et d’ « hébergeur ». Issus de la directive sur le commerce électronique (2000/31/CE) et de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), les débats sur la qualification juridique de certains acteurs (par exemple, les moteurs de recherche ou les plateformes) forment une jurisprudence importante. Un des éléments décisif pour caractériser l’éditeur est le rôle actif sur le contenu, ce qui dépend des faits, du fonctionnement opérationnel de la société mais également de la fonctionnalité en question (les acteurs digitaux sont complexes et peuvent être un « éditeur » pour certains aspects et un « hébergeur » pour d’autres).

Le contentieux met en lumière un enjeu simple : le droit des acteurs de l’internet, constitué au début des années 2000, ne permet plus d’appréhender la diversité des fonctionnements actuels. Il en découle alors une insécurité juridique pour les opérateurs économiques mais également pour les internautes, de sorte qu’il serait bienvenu que l’Union Européenne s’attèle à revoir ce régime juridique. Nous comprenons que la nouvelle Commission Européenne pourrait mettre à l’ordre du jour une revue de la directive sur le commerce électronique, ce qui ouvrirait de nouvelles perspectives juridiques pour consolider le cadre applicable aux intermédiaires en ligne.

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Lutte contre la manipulation d’informations sur Internet : que nous apporte la loi fake news ?

La lutte contre les fake news sur Internet n’est pas seulement un sujet médiatique : au croisement entre les enjeux de sincérité du scrutin, d’ingérence étrangère dans un processus électoral et de responsabilisation des plateformes, le sujet a fait l’objet d’une loi.

Entrée en vigueur en décembre 2018, la loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information passe actuellement sa première épreuve à l’occasion des élections européennes. Ce texte représente bien plus qu’une tentative de définition de la notion de « fausse information » : il s’agit d’un nouveau bloc du droit des plateformes et des algorithmes, auquel chaque opérateur peut se référer, notamment en ce qui concerne les sujets de transparence des algorithmes.

Droit du Partage vous en présente les contours et les enjeux de sa première mise en œuvre concrète.

  1. Les plateformes numériques au cœur du dispositif

Les opérateurs de plateformes sont au cœur du dispositif de la loi fake news : le texte reconnait leur place primordiale dans la diffusion de l’information et les place au cœur du dispositif réglementaire.

Cependant, la loi ne s’adresse pas à tous les opérateurs de plateformes et précise que les plateformes concernées sont celles dont l’activité repose sur la promotion de contenus d’information se rattachant à un débat d’intérêt général.

Parmi les nombreuses mesures qu’elle contient, les trois principales sont les suivantes :

  • D’une part la loi renforce, pendant les périodes électorales (c’est-à-dire trois mois avant les élections) les obligations d’information et de transparence des plateformes ayant plus de 5 millions de visiteurs uniques par mois (voir le décret ici) sur les « contenus d’information se rattachant à un débat d’intérêt général » (i) en informant les utilisateurs sur l’identité de la personne qui rémunère la plateforme en échange de la promotion de contenus ; (ii) en fournissant une information loyale, claire et transparente sur l’utilisation des données personnelles dans le cadre de la promotion de contenus d’information et (iii) en rendant public le montant des rémunérations reçues en contrepartie de la promotion de contenus d’information lorsque leur montant est supérieur à 100 euros.
  • D’autre part, de façon plus structurelle et permanente (c’est-à-dire même hors périodes électorales), la loi prévoit l’obligation pour les plateformes de mettre en œuvre des mesures visant à lutter contre la diffusion de fausses informations susceptibles de troubler l’ordre public ou d’altérer la sincérité d’un scrutin. Pour cela, les plateformes peuvent notamment prendre des mesures de (i) transparence de leurs algorithmes, de (ii) promotion des contenus issus d’entreprises et d’agences de presse ou de (iii) lutte contre les comptes propageant massivement de fausses informations.
  • Enfin, la loi crée une procédure spécifique en période électorale, aussi appelée « référé fake news», qui permet au ministère public, à tout candidat, tout parti ou toute personne ayant intérêt à agir, de demander au juge des référés, sous 48 heures, de prendre des mesures proportionnées et nécessaires pour faire cesser la diffusion de ces informations auprès des hébergeurs et des plateformes qui hébergent les contenus en question.
  1. Quelle mise en œuvre concrète pendant la campagne des européennes ?

La campagne des élections européennes a été l’occasion d’une première mise en application de cette loi.

Les opérateurs de plateformes concernés par le dispositif ont pris des mesures allant dans le sens d’une meilleure information de leurs utilisateurs, notamment sur le dispositif de signalement de fausses informations, l’information concernant les auteurs d’articles « politiques » et les mesures prises par l’opérateur pour lutter contre la diffusion de fausses informations en période électorale. À titre d’exemple, Facebook a mis en ligne une page internet dédiée au sujet et Twitter a mis en œuvre sur sa plateforme un dispositif de signalement de contenu permettant de signaler un tweet comme « induisant en erreur au sujet d’élections ».

Du côté procédural, le « référé fake news » vient de connaître sa première décision avec un jugement du Tribunal de grande instance de Paris rendu le 17 mai après la demande formulée, par deux élus communistes pour obtenir le retrait, par Twitter, d’un tweet du Ministre de l’intérieur concernant les manifestations de gilets jaunes et l’utilisation du terme « attaque » pour désigner la présence de gilets jaunes dans l’enceinte de l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Dans sa décision, le Tribunal refuse de faire droit à la demande de retrait du tweet, notamment au motif que l’information diffusée par le Ministre de l’intérieur n’est pas « manifestement inexacte ou trompeuse ». Cette première décision est intéressante car elle met en lumière le difficile effort de qualification d’une « fake news » et la complexité de sa mise en oeuvre : en l’espèce, les juges ont apprécié de manière restrictive la définition de la fausse information qui doit être manifestement inexacte ou trompeuse et qui doit être diffusée de manière délibérée, artificielle ou automatisée et massive.

Les prochaines décisions en la matière seront particulièrement intéressantes à suivre, notamment si elles portent sur des informations ne relevant pas de l’appréciation de faits par des responsables politiques, un « cas d’usage » de fake news qui ne correspond pas aux comportements que la loi vise à sanctionner, à savoir la diffusion massive d’une information fausse au moyen d’un système automatisé.

  1. Quelles perspectives pour la lutte contre la manipulation d’information ?

Le principal défaut de la loi relative à la lutte contre la manipulation d’information est sans doute son caractère national et isolé (à l’exception de Singapour – LIEN), dans un contexte où la diffusion de fausses informations se développe de manière transnationale, privant ainsi un dispositif exclusivement national d’efficacité dans le cas où les données considérées comme relevant de fake news sont stockées ou hébergées à l’étranger.

L’Europe semble être un échelon plus pertinent à cet égard. C’est pourquoi les récentes initiatives européennes visant à lutter contre la désinformation sont intéressantes et à suivre : elles visent, à travers un mécanisme de conformité volontaire des opérateurs de plateformes, à atteindre les mêmes objectifs que la loi française, avec des résultats qu’il conviendra d’observer. Le récent code européen de bonnes pratiques contre la désinformation sur internet auquel Facebook, Google et Twitter ont chacun adhéré est un bon exemple de mécanisme de régulation, fondé sur le volontarisme des acteurs, qui permet de contraindre les acteurs de manière plus efficace qu’une loi nationale. Les plateformes signataires de la charte publient ainsi régulièrement des rapports concernant les mesures qu’elles prennent pour lutter contre la désinformation, sous le contrôle attentif de la Commission européenne.

Le sujet de la lutte contre la désinformation en ligne est donc loin d’être clos, faute de mécanisme transnational efficace ou de corps de règles unifié à l’échelle européenne permettant de fixer des règles cohérentes pour toutes les plateformes opérant en Europe.

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Charte des acteurs e-commerce : vers des relations plus équilibrées entre les plateformes et les entreprises utilisatrices ?

Tout comme le futur règlement européen Platform to business (voir notre analyse de la version du texte ayant fait l’objet d’un accord politique), la « Charte des acteurs du e-commerce » du 26 mars 2019 vise à promouvoir des relations équilibrées, loyales et transparentes entre les opérateurs de plateforme en lignes (au sens de l’article L. 111-7 du Code de la consommation) et les personnes physiques ou morales contractant les services de ces plateformes ou places de marché à titre professionnel.

Cette charte s’inscrit dans la volonté de favoriser la croissance des TPE et PME françaises dont le développement dépend largement des plateformes numériques qui s’imposent comme de véritables « gardiens de l’accès aux marchés et aux consommateurs » (Commission Européenne, COM(2018) 238 final, 26 avril 2018). En effet, selon le communiqué de presse de la Commission européenne du 14 février 2019, ce sont plus de 42% des PME de l’Union européenne qui déclarent avoir recours à des places de marché en ligne pour vendre leurs produits ou services.

La « Charte des acteurs du e-commerce » vise principalement trois objectifs : (1) la formalisation des engagements mutuels entre les parties, (2) la garantie d’un échange « ouvert, fiable, et individualisé » à tous les stades de la relation commerciale et (3) la lutte contre la contrefaçon.

1/ La formalisation des engagements mutuels entre les parties : dans l’optique de préserver un climat de confiance entre elles et les entreprises utilisatrices, essentiel à toute relation commerciale, les plateformes et places de marché s’engagent dans le cadre de cette charte à sécuriser leurs relations en les formalisant contractuellement. À cet égard, il leur est demandé de rédiger les documents contractuels « de façon claire et compréhensible», de rendre les conditions d’utilisation facilement accessibles en ligne et d’inclure dans ces documents une mention indiquant la possibilité offerte aux entreprises utilisatrices de recourir à la médiation.

2/ La garantie d’un échange « ouvert, fiable, individualisé »  implique notamment de :

  • mettre en place un dispositif dédié au dialogue qui devra être porté à la connaissance des utilisateurs lors de leur engagement sur la plateforme ou place de marché et devra être accessible tout au long de la relation commerciale ;
  • expliquer les raisons d’un déréférencement (notion entendue comme suspension ou suppression, temporaire ou définitive, d’offres mises en ligne par les entreprises utilisatrices sur les plateformes et places de marché en ligne et/ou de leur compte) et permettre de contester cette décision ;
  • fournir aux entreprises utilisatrices qui en font la demande, des informations sur les principes applicables au classement des produits voire, leur livrer des recommandations afin que leurs produits progressent dans le classement commercial ;
  • favoriser le recours à la médiation notamment en fournissant un contact privilégié vers le Médiateur des entreprises (l’annexe 1 de la charte détaille le mécanisme et l’annexe 2 prévoit une clause type) ;
  • faire de l’intérêt du client final un objectif partagé, ce qui implique que les entreprises utilisatrices s’engagent à mettre en œuvre des mesures concrètes pour satisfaire le client final (par exemple, en mettant en ligne des offres conformes aux règlementations applicables en matière de vente à distance).

3/ La lutte contre la contrefaçon : tandis que les entreprises utilisatrices s’engagent à ne pas proposer sciemment des produits contrefaits, les plateformes et places de marché s’engagent elles à prévoir un dispositif de signalement des contrefaçons et de mettre en œuvre les actions correctives nécessaires le cas échéant.

Plus symbolique que juridiquement contraignante, cette charte participe de la construction et du renforcement des obligations pesant sur les opérateurs de plateforme en ligne (résultant du cadre juridique posé par la loi pour une République numérique et de ses décrets d’application). Il est intéressant de noter que parmi les grands acteurs du e-commerce ayant décidés, dans une démarche volontaire, de signer la charte (on compte notamment Leboncoin, Ebay, ManoMano ou Rakuten), certaines grandes markets places sont absentes (par exemple, Amazon).

Du reste, un comité de suivi chargé d’assurer la diffusion de la charte sera mis en place (la première réunion aura lieu du 2ème semestre 2019) et une liste publique des signataires sera régulièrement mise à jour.

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Platform to Business (P2B) : le règlement est bientôt finalisé

Nous évoquions le règlement européen dit Platform To Business (« P2B ») comme un texte fondamental de la régulation des plateformes (voir nos articles sur la rentrée juridique 2019 et sur le projet de règlement P2B d’avril 2018) : un grand pas vient d’être fait vers une finalisation du texte.

Ce règlement ambitionne de faire de l’Union Européenne un environnement économique transparent et prévisible pour les entreprises et les « business users » qui utilisent des services d’intermédiation en ligne (en particulier, des plateformes, des places de marchés (market place) ou des moteurs de recherches). Cette règlementation aspire à trouver un équilibre entre stimulation de l’innovation et protection des intérêts des utilisateurs de ces services afin que chacun puisse bénéficier des opportunités créées par la révolution numérique.

Le 13 février 2019, un accord politique a été trouvé entre le Parlement Européen, le Conseil de l’Union Européenne et la Commission Européenne sur un texte de compromis du règlement P2B (voir le texte complet ici). Ce texte vient d’être approuvé (le 20 février) par le Comité des représentants permanents (Coreper) et il a été soumis au vote de la Commission « Marché Intérieur » (le 21 février). Le texte devrait ensuite être adopté par le Parlement avant d’entrer en vigueur dans un délai de 12 mois à compter de sa publication au journal officiel de l’Union européenne.

Du texte de compromis, nous retenons les idées clés suivantes :

  • Plus de loyauté : l’accord prévoit notamment (i) d’encadrer plus précisément les décisions de restreindre, suspendre ou déréférencer des personnes, (ii) une accessibilité et intelligibilité renforcée de leurs CGU qui ne pourront être modifiées qu’après notification des entreprises utilisatrices au moins 15 jours à l’avance et (iii) une obligation de clarté concernant les termes de leurs relations contractuelles notamment concernant les clauses rétroactives, le droit de résiliation des contrats et l’accès aux données après expiration de ces derniers.
  • Plus de transparence : les acteurs soumis au règlement devront notamment (i) indiquer les principaux paramètres de classement des biens et services qu’ils proposent afin de permettre aux vendeurs d’optimiser leur visibilité et d’empêcher toute manipulation du système de classement (par exemple, les plateformes seront tenues d’informer les entreprises utilisatrices de l’existence d’accords contractuels ou de paiements de commissions supplémentaires justifiant les traitements différenciés) – ces règles font écho au cadre juridique français (voir notre article sur le cadre juridique français issue de la loi pour une République numérique) – et (ii) communiquer de manière exhaustive tous les avantages que les plateformes, agissant simultanément en qualité de place de marché et de vendeur, accordent à leurs propres produits et services par rapport à d’autres.
  • Plus de voies de règlements des litiges : le texte prévoit, entre autres, l’obligation pour les acteurs concernés de (i) mettre en place un système interne gratuit de traitement des réclamations (une exemption est prévue pour les plus petites plateformes) et de (ii) fournir aux entreprises davantage d’options de résolution extrajudiciaire des litiges notamment par l’intermédiaire de médiateurs spécialisés.
  • Plus de contrôle : il est prévu que (i) les associations professionnelles puissent intenter une action en justice pour obtenir la cessation de tout manquement aux règles et que (ii) les États membres puissent désigner des autorités publiques dotées de pouvoirs répressifs auxquelles les entreprises utilisatrices de plateformes pourront faire appel.

Le règlement P2B est sans aucun doute une nouveauté capitale pour le secteur du numérique et les intermédiaires qui opère sur ce marché. Étant donné son importance, nous écrirons plusieurs articles d’analyse lorsque le règlement sera publié au journal officiel.

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Règlementation du numérique – ce que 2019 nous réserve

Le cadre juridique de l’économie numérique et des plateformes est en perpétuelle construction. L’année 2018 restera sans doute celle de l’entrée en vigueur du RGPD et de la modification de la loi informatique et libertés. L’année 2019 sera quant à elle marquée par l’adoption de textes importants, et dans de nombreux domaines !

Voici les principaux éléments qu’il faudra suivre avec attention en 2019 et qui feront sans aucun doute l’actualité :

  • Opérateurs de plateforme en ligne – les règles se multiplient: cette année encore, le « droit des plateformes » s’étoffe, avec notamment :
    • Diffusion de bonnes pratiques par les plateformes : le 1er janvier 2019 marque l’entrée en vigueur de ce dispositif créé par la loi pour une République Numérique (voir notre article sur les obligations issues des décrets d’application de la loi dite « Lemaire »). Au-delà de 5 millions de visiteurs uniques par mois, par plateforme, sur la base de la dernière année civile, l’opérateur doit élaborer et diffuser des bonnes pratiques pour renforcer la loyauté, la clarté et la transparence des informations transmises aux consommateurs.
    • Les obligations déclaratives sur les revenus des utilisateurs : pour les revenus perçus en 2019, les plateformes doivent transmettre à l’administration fiscale un récapitulatif annuel pour chaque utilisateur (voir notre article sur la réforme de l’article 242 bis du Code général des impôts), et pourront être tenus du paiement de la TVA due par certains d’entre eux en cas de fraude[1] (voir notre article sur ce nouveau mécanisme de responsabilité sur la TVA). On peut aussi mentionner l’obligation de vérification de l’identité des utilisateurs réalisant des transaction supérieures ou égales à 1.000 euros.
    • Le règlement européen Platform to business : en plus de ces règles françaises il faut mentionner ce règlement qui vise à mieux encadrer les relations entre les plateformes et les professionnels qui les utilisent pour leur activité. Ce texte a pour ambition de profondément modifier les pratiques commerciales des grandes plateformes et sera un moment important de 2019 pour les marketplaces.
    • La responsabilité sociale des plateformes : la question avait fait l’actualité lorsque les députés avaient tenté d’introduire le mécanisme relatif à l’établissement d’une charte détaillant les relations juridiques avec les indépendants (voir notre article à ce sujet). La disposition en cause avait alors été censurée par le Conseil constitutionnel. Réintroduit dans la LOM, le Conseil d’État a estimé dans son avis sur le projet de loi que le législateur pouvait adopter à nouveau le mécanisme et que celui-ci n’était pas inconstitutionnel. Reste à voir si celui-ci sera définitivement adopté à l’occasion de la LOM.
  • Les données personnelles : elles continueront de faire l’actualité en 2019. Le secteur poursuit sa mise en conformité avec le RGPD et la CNIL va continuer ses efforts de pédagogie. Ce sera d’autant plus important qu’une ordonnance a été publiée en décembre 2018 pour la réécriture complète de la loi informatique et libertés, ce qui lui permettra d’être en ligne avec le droit actuel des données personnelles. Plus de 7 mois après l’entrée en vigueur du RGPD, il est aussi probable que les premières sanctions substantielles soient prononcées en 2019.
    Au niveau européen, l’Union va compléter le cadre juridique existant avec le règlement « E-privacy[2] ». Également appelé règlement « Cookies », il pourrait introduire des changements d’une ampleur comparable à ceux induits par le RGPD. Son objectif est de renforcer la protection de la vie privée de l’internaute et de mieux encadrer l’utilisation des métadonnées, des adresses IP ou des cookies notamment. Le texte sera à nouveau discuté cet été par le Conseil.
  • La lutte contre les « fake news[3]» : suite aux soupçons d’ingérence russe dans la campagne présidentielle américaine par l’intermédiaire de Facebook, le gouvernement français a réagi avec la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information. Objet d’intenses débats parlementaires et d’une saisine du Conseil constitutionnel, la loi prévoit un dispositif qui a vocation à s’appliquer pendant les grandes élections (présidentielles et législatives, notamment). Il sera applicable pour la première fois lors des élections européennes de mai 2019. Les plateformes, encore elles, devront notamment divulguer aux utilisateurs l’identité des personnes qui financent des contenus sponsorisés ou rendre public le montant des sommes versées (au-dessus d’un certain seuil). Un décret a été notifié à la Commission européenne et devrait rentrer en vigueur en avril 2019, soit quelques semaines avant les élections.
  • Les mobilités : le transport (de personnes et de marchandises) est profondément impacté par le numérique. Une grande loi sur les mobilités (dite « LOM » pour Loi d’Orientation des Mobilités) sera débattue au Parlement à compter de février 2019 (voir notre article détaillant cette loi à venir). Elle est le fruit d’un long processus entamé en août 2017 avec les assises de la mobilité. La dernière grande loi sur les transports de cette envergure date de 1982 (« LOTI » – Loi d’Organisation des Transports Intérieurs) : c’est dire l’importance de ce texte qui va dessiner les contours de la mobilité de demain et les opportunités qu’il pourrait ouvrir pour les acteurs du numérique.
  • La directive européenne sur les contrats de fourniture de contenu numérique[4] : présentée en 2015, la directive vise à harmoniser les droits des utilisateurs européens qui bénéficient de contenus numériques. Le texte pourrait avoir un champ d’application très large et s’appliquer à des produits aussi variés que Netflix, Facebook, YouTube ou encore Android. Le texte contient également les premières règles applicables aux constructeurs d’objets connectés. En outre, la proposition de directive admet que la fourniture de données personnelles constitue une « contrepartie », ce qui pourrait être une première étape à l’admission d’un droit de nature patrimonial sur les données personnelles.

Nous suivrons également avec attention la jurisprudence sur les indépendants qui trouvent des clients grâces aux plateformes à la suite de l’arrêt de la Cour de cassation concernant Take Eat Easy[5] et l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 10 janvier 2019 admettant l’existence d’une relation salariée entre un chauffeur et Uber. Nul doute que les juridictions auront l’occasion d’affiner leur jurisprudence.

Enfin, 2019 est aussi la dernière année du mandat de la Commission européenne actuelle. La composition de la future commission sera déterminante pour l’avenir de la régulation du numérique, et pourrait conduire à la refonte du texte le plus important de ces vingt dernières années : la directive sur le commerce électronique[6]. Cela dépendra des équilibres politiques dans les institutions européennes et de l’état d’avancement des différents instruments réglementaires en préparation (en plus de ceux déjà cités, on peut faire référence à la directive sur les droits d’auteur ou les règles relatives à la libre circulation des données non personnelles).

Droit du Partage vous tiendra naturellement informés tout au long de cette nouvelle année.

[1] Loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, articles 10 et 11 modifiant respectivement l’article 242 bis du Code Général des Impôts et créant un article 283 bis

[2] Proposition de règlement du Parlement européen et du conseil concernant le respect de la vie privée et la protection des données à caractère personnel dans les communications électroniques et abrogeant la directive 2002/58/CE (règlement «vie privée et communications électroniques»)

[3] Loi n° 2018-1202 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information

[4] Proposition de directive du parlement européen et du conseil concernant certains aspects des contrats de fourniture de contenu numérique, COM/2015/0634 final

[5] Cour de cassation, Chambre Sociale, 28 novembre 2018, n°17-20.079 : censurant une cour d’appel qui avait rejeté l’action en requalification d’un coursier au motif que l’application était dotée d’un système de géolocalisation et que le système de « strike » de Take Eat Easy était comparable à celui d’un employeur, cette décision a marqué les esprits et a parfois été décrite comme remettant en cause le modèle intrinsèque des plateformes.

[6] Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique»)

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