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Les Initial Coin Offerings (ICO) en droit français

Comme partout dans le monde, l’appréhension des Initial Coin Offering (ICO) par le droit est un enjeu juridique capital en France car leur nombre ne cesse de croître (le site Coin Market Cap dénombre plus de 600 coins mis en circulation dans le monde).

Qu’est ce qu’une ICO ?

Une ICO est un mécanisme par lequel une monnaie est créée grâce à la technologie « Blockchain » dans le but de lever des fonds et de contribuer à la réalisation d’un projet.

Cette monnaie, matérialisée par des tokens ou coins, est mise en vente à une date déterminée.En contrepartie de leur souscription, les acheteurs de tokens bénéficient d’une primauté d’accès au service et de certains avantages. Le recours à ce nouveau type de financement est attractif puisqu’il permet aux porteurs de projets de s’adresser facilement à une communauté très vaste. L’ICO correspond au moment où les tokens sont libérés, c’est-à-dire mis à disposition aux personnes ayant souscrit.

Il nous semble important de faire la distinction entre les tokens et les crypto-monnaies car les premiers sont émis dans le cadre d’un projet particulier, lequel est mis en perspective dans un document fondamental appelé white paper. Ainsi, ils ne sont pas seulement une monnaie mais également un droit d’accès à un service ou bien présent ou futur.

Par nature, ces projets se construisent en marge des systèmes étatiques et centralisés. Pourtant, il n’est pas illogique de réguler ces nouveaux mécanismes car ces acteurs innovants bénéficient des infrastructures communes et les droits du public doivent être protégés (risques de fraude, blanchiment…). Néanmoins, il nous semble que la règlementation ne doit pas étouffer les initiatives économiques car ces innovations sont émergentes et doivent encore atteindre un seuil de maturité.

Les enjeux juridiques clés

Un premier enjeu consiste à qualifier juridiquement le token émis, ce qui passe par un examen de ses fonctions et de son utilité économique (simple monnaie d’échange, titre avec des droits politiques ou financiers ou encore véritable titre de propriété numérique sur un bien sous-jacent). La grande variété des projets et des opérations rend difficile l’assimilation avec les régimes juridiques existants (par exemple, les régimes relatifs aux « titres financiers », « financement participatif », « placement collectif » ou « intermédiaires en biens divers »).

Un second enjeu concerne l’information des personnes susceptibles de souscrire à l’ICO et le contrôle (ou non) des documents mis à disposition par les porteurs de projets, en particulier le white paper dans la phase de pré-émission. Aujourd’hui la pratique est disparate et les porteurs de projets doivent faire attention aux régimes d’information préalable qui existent (et qui peuvent s’appliquer dans certaines situations). On assiste à des initiatives d’autorégulation de la part des acteurs eux-mêmes pour renforcer la sécurité autour de ce nouveau mode de financement, comme en atteste la « Charte des ICO » lancée en octobre 2017 en France.

Un troisième enjeu d’importance touche à la prévention de la fraude, tant au regard des manipulations de marché, que du détournement des fonds ou encore du blanchiment. Par exemple, on pourrait imaginer bloquer les fonds sur un compte séquestre jusqu’à ce que la levée soit complète afin d’éviter que les fonds ne disparaissent et la mise en place d’un dispositif de lutte contre le blanchiment (par exemple, des KYC) pour limiter les risques.

Plus généralement, il semble nécessaire de travailler à une bonne information du public sur ces nouvelles pratiques (à la fois concernant l’absence de régulation et concernant les risques associés comme la perte en capital ou la grande volatilité) et aux participants à une ICO (à la fois pre-ICO et post-ICO).

Les pistes de régulation

Face aux bouleversements des usages et les questions juridiques résultant de ces innovations technologiques, le régulateur s’interroge. L’Autorité des Marchés Financiers (AMF) a mené une consultation publique sur le sujet au cours du second semestre 2017. Une synthèse des réponses apportées a été publiée par l’AMF le 21 février 2018.

Dans sa consultation publique, l’AMF avait identifié trois options possibles pour appréhender juridiquement les ICO : (i) promouvoir un guide de bonnes pratiques, (ii) étendre le champ des textes existants pour appréhender les ICO comme des offres de titres financiers au public ou (iii) proposer une législation nouvelle adaptée aux ICO.

Il ressort de la synthèse des réponses reçues par l’AMF que les acteurs et professionnels sont en faveur de la mise en place d’un cadre juridique dédié pour les ICO.

L’AMF a donc pris la décision de poursuivre le travail de construction de ces règles. Parmi les points évoqués, deux sont d’importance particulière : (i) l’existence d’un visa de l’AMF (pouvant être optionnel pour ne pas imposer trop de contraintes aux opérations) avant l’ICO pour s’assurer de l’identité et des compétences des porteurs de projet (personnes morales et physiques) et (ii) la possible création d’un processus de nature à prévenir le blanchiment et le financement du terrorisme.

Droit du Partage continuera à suivre ces sujets pour vous.

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Regards juridiques sur la blockchain : vers un avenir sans intermédiaires ?

« Blockchain » est devenu un véritable buzzword dans le numérique. Pourtant, sauf à être un expert, il n’est pas aisé de réellement savoir de quoi il en retourne.

Qu’est-ce que la « Blockchain » ?

La « Blockchain » est une méthode d’enregistrement des données permettant le stockage et l’échange d’informations de manière sécurisé sans organe de contrôle central. Chaque transaction est enregistrée par le réseau, de sorte que l’historique complet est conservé et par nature authentifié.

Il s’agit donc d’un registre numérique de transactions, d’actifs ou de contrats qui a la particularité d’être décentralisé, ce qui signifie que tout le monde y a accès et peut jouer le rôle d’identification. Schématiquement, la « Blockchain » est une base de données dans laquelle les données sont rangées dans des blocs successifs (chacun a un lien avec le précédent, ce qui permet de conserver l’intégrité du réseau et de sécuriser les échanges).

L’application la plus connue de cette technologie est la crypto-monnaie Bitcoin mais les domaines où elle pourrait être utilisée sont extrêmement nombreux (notamment dans le domaine financier) même si l’on imagine encore à peine ses potentiels.

La « Blockchain », un réel changement de paradigme ?

La principale caractéristique de cette technologie est de supprimer les intermédiaires pour permettre des transactions automatiques guidées par des protocoles informatiques. Les plus enthousiastes présentent cette technologie comme l’alpha et l’oméga des transactions économiques dans quelques années.

La « Blockchain » permet de maximiser (i) les échanges de valeurs sans passer par des institutions établies, (ii) la confiance car les données échangées sont certifiées par l’expéditeur et (iii) la démocratie puisque les gens interagissent sans hiérarchie ou sans l’intermédiaire d’un opérateur central. Cela étant dit, en évitant d’avoir une institution centrale qui donne la « valeur confiance », la question de la gouvernance se pose (par exemple, en août 2017 il y a eu une scission du Bitcoin en raison d’un désaccord).

En termes pratiques et prospectifs, les plateformes numériques (et plus généralement les acteurs jouant le rôle de « tiers de confiance ») pourraient voir leur rôle changer de manière importante sous l’impulsion des systèmes informatiques reposant sur la « Blockchain ». Les places de marchés ne seraient ainsi plus régies par les sociétés opérant les plateformes mais par une technologie décentralisée qui ferait le nécessaire pour faire converger l’offre et la demande de manière autonome. Malgré tout, il faudrait conserver le lieu où l’offre et la demande se rencontre, ce qui pourrait offrir de nouvelles perspectives aux plateformes.

Le droit doit il appréhender la « Blockchain » ?

On reproche souvent aux juristes et à la règlementation d’être une entrave à l’innovation, en particulier lorsqu’il s’agit de l’émergence de nouvelles technologies. Pourtant, on ne saurait envisager un passage à l’échelle de cette nouvelle technologie sans encadrement juridique pour assurer la sécurité des échanges.

S’agissant de la « Blockchain », la première question qui se pose est la légitimité d’un encadrement par la règle de droit. En effet, cette technologie permet d’avoir une haute sécurité dans les transactions à un coût très faible. Le législateur et le régulateur devront faire attention, en s’y intéressant, à ne pas alourdir le système et à le priver de son attrait principal (par exemple, avec des obligations KYC trop contraignantes). La seconde question essentielle consiste à déterminer s’il est opportun de réguler la technologie en tant que telle (c’est-à-dire l’outil) ou les applications qui en sont faites.

De manière plus générale, parmi les enjeux juridiques, on peut faire référence à la protection des données personnelles (en particulier, lorsqu’il sera possible de faire des recherches dans ces registres décentralisés pour identifier des personnes), la sécurité informatique de ces réseaux, les éventuelles atteintes à la concurrence résultant d’échange d’informations entre concurrents via ces systèmes d’informations anonymes, la forme du consentement à un contrat (on pense ici aux Smart Contracts qui se forment automatiquement sans consentement expresse des parties et qui pourraient ne pas répondre aux critères du contrat fixés par le Code civil) ou encore à la loi applicable à certaines informations/transactions dès lors que les « blocs » sont stockés dans des serveurs situés dans plusieurs pays…

En France, la première appréhension de la « Blockchain » a été effectué par le doit financier. L’ordonnance du 28 avril 2016 a en effet introduit, au sein des règles relatives aux bons de caisse, la notion de « dispositif d’enregistrement électronique partagé » (article L. 223-12 et L. 223-13 du Code monétaire et financier). Il s’agit du début d’un régime juridique et cette ébauche devrait être étoffée pour permettre le développement de ces technologies car la « Blockchain » va bien au-delà de cette définition légale restrictive.

Les enjeux sont aussi nombreux que complexes et ne manqueront pas d’animer les réflexions des juristes, du législateur et des entrepreneurs dans les prochaines années.

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