La frontière entre le « particulier » et le « professionnel » est décisive puisqu’elle déclenche l’application de certaines règles (en particulier, celles issues du droit de la consommation). Elle l’est d’autant plus dans le secteur numérique où des plateformes permettent la mise en relation de particuliers avec des particuliers, de professionnels avec des particuliers ou encore de professionnels avec des professionnels, déclenchant à chaque fois des contraintes juridiques différentes…
Si depuis le 1er janvier 2018, les plateformes de mise en relation ont l’obligation d’identifier la qualité des offreurs (voir notre analyse des décrets Lemaire), les critères permettant de faire la distinction entre le « particulier » et le « professionnel » ne sont pas toujours aisés à identifier… et ce d’autant que la distinction n’est pas identique selon la matière juridique (un professionnel au sens du droit commercial, n’est pas forcément un professionnel au sens du droit fiscal ou du droit des transports)… !
Mais alors, à partir de quand devient-on un professionnel ? A partir de combien de transactions ?
Une affaire en cours devant la Cour de Justice de l’Union Européenne (Komisia za zashtita na potrebitelite c/ Evelina Kamenova, Affaire C‑105/17) pourrait apporter des précisions intéressantes et bienvenues étant donné le succès des plateformes numériques.
La Cour est saisie d’un renvoi préjudiciel (c’est-à-dire une demande d’interprétation du droit de l’Union Européenne) par les juridictions bulgares. La question est de déterminer si une personne physique qui a publié simultanément 8 annonces de vente de produits sur une plateforme en ligne peut être qualifiée de « professionnelle » et si son activité peut constituer une « pratique commerciale » au sens de la directive 2005/29/CE du Parlement et du Conseil du 11 mai 2005.
Dans ses conclusions du 31 mai 2018, l’avocat général (Maciej Szpunar) considère que « la publication simultanée sur une plateforme en ligne d’un total de huit annonces tendant à la vente de divers produits neufs et d’occasion ne me semble pas suffisante pour permettre de retenir la qualification de professionnel ». Cependant, il est précisé que la juridiction de renvoi devra effectuer une analyse in concreto du dossier afin de vérifier si la défenderesse (la vendeuse) relève de la notion de « professionnel ».
Pour guider les interprétations à venir, l’avocat général insiste sur la nécessité pour les juridictions nationales de (i) vérifier si la vente a été réalisée de manière organisée et à des fins lucratives, (ii) de vérifier si le vendeur dispose d’un statut juridique lui permettant de réaliser des actes de commerce, (iii) de vérifier si le vendeur est assujetti à la TVA, (iv) de vérifier si le vendeur achète des biens en vue de les revendre (v) ou encore de vérifier si le montant du bénéfice dégagé sur les vente confirme l’existence d’une activité professionnelle. Ces critères ne sont ni exhaustifs, ni limitativement énumérés et les juridictions nationales doivent faire une appréciation d’ensemble de la situation.
La décision qui sera rendue par la CJUE permettra d’affiner la compréhension de cette notion de « professionnel » (au sens des directives européennes) et apportera des précisions clés pour les acteurs du numérique.
Si ces clarifications sont importantes en l’absence de seuil fixé par la loi, elles ne concernent que les opérations de vente et peuvent être analysées par le biais de la notion d’acte de commerce. Cependant, la réponse à ces questions pour les prestations de services réalisées par les particuliers reste à préciser.
Droit du Partage vous tiendra informés des prochaines étapes de cette affaire clé.