Archives de Tag: fraude fiscale

Plateformes et obligations fiscales : application du nouveau régime des articles 242 bis et 283 bis du Code général des impôts

Avec le 1er janvier de chaque année viennent les bonnes résolutions et l’entrée en vigueur de nouveaux textes ou dispositifs juridiques.

Depuis 2015/2016, les sociétés qui opèrent des plateformes en ligne ou des marketplaces font l’objet d’obligations toujours plus nombreuses, que ce soit des règles numériques (ex : transparence des algorithmes ou données personnelles) ou sectorielles (ex : droit des transports pour les nouvelles mobilités). Ce mouvement, qui se constate tant à l’échelle nationale qu’européenne (en dernier lieu, nous vous renvoyons à notre article sur le règlement européen Platform to business qui régit les relations entre les plateformes et les utilisateurs professionnels), ne nous semble pas prêt de s’arrêter si l’on se fie aux récentes déclarations de la nouvelle Commission Européenne (notamment, en ce qui concerne le Digital Services Act).

Pour l’heure, nous souhaitons revenir sur le nouveau régime des obligations fiscales applicables aux opérateurs de plateformes de mise en relation au 1er janvier 2020, lequel se concentre dans 2 articles du Code général des impôts :

Article 242 bis 

Pour être synthétique (si vous souhaitez des détails, consultez cet article détaillé), les fondamentaux de l’article 242 bis sont maintenus, de sorte que les sociétés opérant des plateformes numériques doivent :

1/ transmettre, à chaque transaction, une information sur les obligations fiscales et sociales des utilisateurs. Le non-respect de cette obligation est désormais sanctionné d’une amende forfaitaire globale fixée dans la limite d’un plafond de 50.000 euros (auparavant, 10.000 euros).

2/ envoyer à chaque utilisateur, avant le 31 janvier de chaque année, un récapitulatif annuel comprenant les informations listées dans les textes (dont certaines sont nouvelles).

La principale nouveauté du dispositif est que les opérateurs de plateformes en ligne doivent déclarer à l’administration fiscale les sommes perçues par leurs utilisateurs et transmettre certaines informations (les conditions sont précisées par le 3° de l’article 242 bis du Code général des impôts et les textes d’application). À défaut, la société est susceptible d’être sanctionnée par une amende de 5% des sommes non déclarées. En particulier, il nécessaire de s’assurer que le format de transmission est celui attendu par l’administration et que cette démarche pourra être réalisée dans les délais (voir ce site alimenté par la DGFip qui permet de mieux comprendre la mise en oeuvre pratique de ce texte).

Si le dispositif de l’article 242 bis est étoffé, nous attendons de voir si sa mise en oeuvre technique (en particulier pour la transmission des informations à l’administration fiscale) et juridique (en particulier l’existence ou non de sanctions) révélera une ambition de fort contrôle de la part de l’administration.

Article 283 bis

Pour être synthétique (si vous souhaitez des détails, consultez cet article détaillé), ce régime juridique (applicable aux opérateurs de plateformes en ligne définis à l’article L. 111-7 du Code de la consommation qui dépassent un seuil de connexions de 5 millions de visiteurs uniques par mois) vise à permettre une lutte contre les pertes de recettes fiscales en matière de TVA.

Le mécanisme est progressif puisque l’administration fiscale signalera à la plateforme le.s utilisateur.s assujetti.s qui se soutrairai.en.t à ses.leurs obligations relatives à la TVA afin qu’elle puisse prendre des mesures adéquates. Si les présomptions de fraude persistent, alors que la plateforme a notifié les mesures prises pour rectifier la situation, l’administration pourra mettre la plateforme en demeure. Si aucune mesure supplémentaire n’est prise ou que l’utilisateur n’est pas exclu, la plateforme pourrait être solidairement responsable du paiement de la TVA.

Les conditions de mise en oeuvre semblent complexes et il sera intéressant de voir les premiers cas d’usage de cet article.

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Tous les acteurs du numériques exploitant ou opérant une plateforme en ligne doivent tenir compte de ces règles et en tirer des conséquences juridiques dans leur fonctionnement opérationnel.

Droit du Partage continuera naturellement à suivre ces sujets pour vous.

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Responsabilité solidaire des plateformes en matière de paiement de la TVA : ce qu’il faut retenir de la loi relative à la lutte contre la fraude (2/2)

La loi relative à la lutte contre la fraude (n°2018-898) a été publiée au journal officiel le 23 octobre 2018, et les articles 10 et 11 du texte contiennent plusieurs dispositions applicables aux plateformes. Droit du Partage fait le point sur les nouvelles obligations figurant dans ce texte dans une série de deux articles (voir le premier article sur les obligations déclaratives des plateformes et la transmission automatique des revenus des utilisateurs à l’administration fiscale).

Ce second article est dédié au nouvel article 283 bis du Code général des impôts qui prévoit une responsabilité solidaire des plateformes en matière de TVA.

Le champ d’application du nouveau dispositif  

Contrairement aux obligations issues de l’article 242 bis du Code général des impôts, le champ d’application de ce nouveau dispositif concerne (i) les opérateurs de plateformes en ligne définis à l’article L. 111-7 du Code de la consommation (ii) qui dépassent un seuil de connexions de 5 millions de visiteurs uniques par mois.

S’il est restrictif concernant les entreprises concernées, le dispositif a un champ d’application large s’agissant des opérations concernées puisqu’il s’appliquera quel que soit le lieu d’établissement de la société opérant la plateforme, dès lors que des utilisateurs effectuent des transactions en France.

Ce nouvel article 283 bis sera applicable à compter du 1er janvier 2020.

Un mécanisme progressif

Le dispositif prévu par la loi est progressif :

1/ le signalement de l’utilisateur par l’administration et les premières mesures de la plateforme > si l’administration fiscale a des soupçons qu’un utilisateur assujetti à la TVA se soustrait à ses obligations, elle le signale à la plateforme qui doit prendre les mesures adéquates (et les préciser à l’administration).

2/ la persistance des présomptions et les nouvelles mesures > si « les présomptions persistent » dans un délai d’un mois à compter du moment où la plateforme a notifié les mesures prises, l’administration peut mettre en demeure la plateforme de (i) prendre des mesures supplémentaires ou (ii) à défaut, d’exclure l’utilisateur de la plateforme. Selon son choix, la plateforme doit notifier la mesure choisie.

3/ la responsabilité solidaire de la plateforme > si la plateforme n’a pris aucune mesure supplémentaire ou n’a pas exclu l’utilisateur dans un délai d’un mois à compter de la mise en demeure de l’administration fiscale, la plateforme devient solidairement responsable du paiement de la TVA.

D’inspiration britannique, ce dispositif vise à permettre une lutte efficace contre les pertes de recettes fiscales en matière de TVA mais il pourrait être critiqué à plusieurs égards.

Une nouveauté critiquable

D’une part, le dispositif ne prévoit aucune garantie pour que la personne soupçonnée de se soustraire à ses obligations en matière de TVA puisse se justifier, alors qu’il est tout à fait possible que les présomptions sur lesquelles s’appuie l’administration soient infondées.

D’autre part, l’opérateur de plateforme en ligne est au cœur du mécanisme alors même qu’elle n’est qu’un intermédiaire et qu’elle ne joue pas toujours rôle dans la transaction qu’elle permet de réaliser. Pourtant, en application de ce texte, sa responsabilité est très large et il lui incombe de faire de véritables vérifications/démarches vis-à-vis de certains utilisateurs.

On assiste à un mouvement de « délégation de la lutte contre la fraude fiscale » à des acteurs privés, en l’occurrence des plateformes numériques, car l’État semble impuissant pour réguler cette nouvelle sphère (tout comme ce fut le cas avec les banques en créant la règlementation de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme). Ce renforcement règlementaire est intéressant car il témoigne de l’importance de ces nouveaux acteurs, de l’ampleur de l’impact de l’économie numérique et de l’importance du droit dans la construction/structuration de ce nouveau secteur.

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Transmission automatique des revenus par les plateformes : ça approche !

Alors que l’année 2016 touchait à sa fin, l’article 24 de la loi de finances rectificative pour 2016 (publiée au Journal Officiel le 30 décembre) créait une nouvelle dimension au régime juridique des plateformes en ligne. Le nouvel article 1649 quater A bis du Code général des impôts prévoit que :

« Les opérateurs de plateforme en ligne au sens de l’article L. 111-7 du code de la consommation adressent à l’administration fiscale une déclaration mentionnant, pour chacun de leurs utilisateurs présumés redevables de l’impôt en France, les informations suivantes : 

1° Pour une personne physique, le nom, le prénom et la date de naissance de l’utilisateur

2° Pour une personne morale, la dénomination, l’adresse et le numéro SIREN de l’utilisateur

3° L’adresse électronique de l’utilisateur

4° Le statut de particulier ou de professionnel caractérisant l’utilisateur sur la plateforme

5° Le montant total des revenus bruts perçus par l’utilisateur au cours de l’année civile au titre de ses activités sur la plateforme en ligne, ou versés par l’intermédiaire de celle-ci

6° La catégorie à laquelle se rattachent les revenus bruts perçus. 

Cette déclaration est adressée annuellement par voie électronique, selon des modalités fixées par décret. Une copie de cette déclaration est adressée par voie électronique à l’utilisateur, pour les seules informations le concernant ».

Si cette obligation est applicable à compter du 1er janvier 2019 (c’est-à-dire que les premières déclarations auront lieu en 2020), cela ne signifie pas pour autant que le législateur se désintéresse de cette question puisque le gouvernement a évoqué, lors du Conseil des Ministres du 28 mars 2018, le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale, lequel contient des dispositions sur les plateformes numériques.

Tout d’abord, nous comprenons que le projet de loi modifie les dispositions du Code général des impôts en précisant les obligations déclaratives des plateformes numériques de mise en relation qui sont tenues de :

  • fournir, à l’occasion de chaque transaction, une information loyale, claire et transparente sur les obligations fiscales et sociales qui incombent aux personnes qui réalisent des transctions par leur intermédiaire.
  • mettre à disposition des utilisateurs un lien électronique vers les sites de l’administration leur permettant de se conformer à ces obligations.

Le non respect d’une de ces obligations est sanctionné par une amende de 50.000 euros.

Ensuite, nous comprenons que le projet de loi envisage de soumettre les plateformes à une obligation annuelle de transmission à chaque utilisateur, ayant effectué une transaction par leur intermédiaire, d’un document mentionnant le nombre et le montant total brut des transactions réalisées au cours de l’année civile. Un document récapitulant l’ensemble de ces informations pour l’ensemble des utilisateurs doit également être adressé par les plateformes, chaque année, à l’admnistration fiscale. Le non respect de ces obligations est sanctionné par une amende de 5% du montant des sommes non déclarées par la plateforme.

Ces nouvelles dispositions concernent une activité de services fournis à distance par voie électronique à la demande de particuliers et contre rémunération (c’est le modèle des plateformes numériques), ce qui implique une notification préalable à la Commission européenne en vertu de la directive 2015/1535 du 9 septembre 2015. Cependant, le Conseil d’Etat considère que cette notification peut être reportée à l’examen de l’arrêté d’application de ces nouvelles règles puisque les dispositions législatives ne sont pas par elles mêmes applicables en l’absence de ce texte d’application (voir l’avis n°394440 du 22 mars 2018).

Le mécanisme actuellement envisagé n’est que le développement et le renforcement de la substance des obligations prévues par l’article 242 bis du Code général des impôts, lequel devrait être amené à évoluer. La transition entre le système actuel (certification annuelle) et la déclaration automatisée des revenus devrait être progressive car la déclaration automatisée serait effectuée pour la première fois en 2020 par les plateformes (pour les revenus perçus en 2019).

Les plateformes numériques de mise en relation disposent donc de deux ans pour se mettre en conformité avec les règles applicables (article 242 bis du Code général des impôts) et de faire évoluer leurs procédures internes pour anticiper le système de déclaration automatisée des revenus (ce qui est plus contraignant et soumis à des sanctions plus lourdes).

L’examen de ce projet de loi pourrait également être l’occasion pour le Parlement d’introduire une simplification des règles fiscales/sociales applicables aux revenus occasionnels perçus par les particuliers par l’intermédiaire de plateformes numériques de mise en relation (voir notre commentaire de la proposition de loi de mars 2017).

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