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Pas de droit à l’oubli mondial : l’arrêt Google du Conseil d’État du 27 mars 2020 le confirme !

En janvier 2019[1] (voir notre article sur le sujet), la société Google était condamnée à la plus grosse amende jamais prononcée par la CNIL (50 millions d’euros). Dans cette nouvelle affaire, elle échappera à toute sanction ! Pour mieux la comprendre, il faut remonter quelques années en arrière.

Le 10 mars 2016[2], par une délibération de la formation restreinte de la CNIL, la société Google Inc., exploitant le moteur de recherche Google, a été sanctionnée à hauteur de 100.000 euros, après une mise en demeure[3] demeurée infructueuse, de procéder au déréférencement du nom et prénom de plusieurs personnes physiques sur l’ensemble de ses extensions. Rappelons que le déréférencement est la technique qui permet de faire supprimer un ou plusieurs résultats fournis par un moteur de recherche à l’issue d’une requête (pour faciliter cette démarche, Google Inc. met à disposition un formulaire spécifique en ligne).

Plus précisément, il était reproché à la société Google Inc. d’avoir violé le droit pour une personne de s’opposer à ce que ses données personnelles fassent l’objet d’un traitement en vertu des articles 38 et 40 de la loi informatique et libertés (dans leur ancienne rédaction[4]). En effet, Google Inc. refusait de déréférencer les liens renvoyant au contenu litigieux sur l’ensemble des extensions de son moteur de recherche et n’acceptait de le faire que pour celles des pays européens. Autrement dit, en reprenant le nom et prénom des personnes concernées, quiconque pouvait avoir accès aux pages web litigieuses à partir d’une extension non-européenne du moteur de recherche.

Au soutien de sa position, Google Inc. insistait notamment sur le fait que (i) la CNIL excédait ses pouvoirs en voulant imposer une mesure ayant une portée extraterritoriale et (ii) qu’un déréférencement mondial contrevenait de manière disproportionnée à la liberté d’expression de l’auteur du contenu et à la liberté d’information des internautes (puisqu’en supprimant les liens renvoyant vers le contenu litigieux, ce dernier ne serait plus accessible ni visible depuis Google, le plus gros moteur de recherche au monde).

Google Inc. a introduit un recours auprès du Conseil d’État dans le but obtenir l’annulation de la sanction dont elle faisait l’objet. Par un arrêt du 19 juillet 2017[5], le Conseil d’État a transmis à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) trois questions préjudicielles à des fins de clarification de l’interprétation du droit européen. Le 24 septembre 2019[6], la CJUE a rendu un arrêt favorable à l’interprétation de Google Inc. L’affaire étant en état d’être jugée, le Conseil d’État a rendu son arrêt le 27 mars 2020 et a précisé la portée territoriale du droit au déréférencement.

1/ Principe : l’absence d’un droit au déréférencement mondial

Dans un premier temps, le Conseil d’État rappelle la portée géographique du droit au déréférencement, précisée par la CJUE dans son arrêt du 24 septembre 2019. À cet égard, la Cour disposait que « lorsque l’exploitant d’un moteur de recherche fait droit à une demande de déréférencement en application de ces dispositions, il est tenu d’opérer ce déréférencement non pas sur l’ensemble des versions de son moteur, mais sur les versions de celui-ci correspondant à l’ensemble des Etats membres » (§73). La Cour ajoutait que cette mesure de déréférencement pouvait être accompagnée de mesures permettant d’empêcher ou de décourager les internautes effectuant une recherche, d’avoir accès aux liens litigieux. 

Or, le Conseil d’État expose que la formation restreinte de la CNIL a sanctionné la société Google Inc. au motif qu’elle refusait de faire droit à une demande de déréférencement sur l’ensemble des noms de domaine de son moteur de recherche et se bornait à supprimer les liens en cause des seuls résultats affichés sur ses extensions européennes. Qui plus est, la CNIL estimait insuffisant le mécanisme de géo-blocage proposé par Google Inc. en complément de son déréférencement à l’échelle de l’Union européenne.

Ainsi, transposant le raisonnement de la CJUE, le Conseil d’État ne fait pas droit à l’interprétation de la CNIL. Il juge, en effet, qu’en sanctionnant la société Google Inc. au motif que seule une mesure s’appliquant à l’intégralité du traitement lié au moteur de recherche pourrait répondre à l’exigence de protection des données personnelles telle que consacrée par la CJUE, « la formation restreinte de la CNIL a entaché la délibération en cause, d’erreur de droit[7] » (§7).

2/ Exception : un droit au déréférencement mondial à l’issue d’une mise en balance des intérêts minutieuse

Si le principe tient à l’absence d’un droit au déréférencement mondial, le Conseil d’État y apporte, toutefois, quelques nuances :

  • Reprenant les arguments invoqués en défense par la CNIL, le Conseil d’État rappelle que la CJUE précisait dans l’arrêt précité[8] que «si (…) le droit de l’Union n’impose pas, en l’état actuel, que le déréférencement auquel il serait fait droit porte sur l’ensemble des versions du moteur de recherche en cause, il ne l’interdit pas non plus » (§72). Elle ajoute, néanmoins, que si les autorités de contrôle ou judiciaires d’un Etat membre demeurent compétentes pour enjoindre un déréférencement mondial, c’est à la condition qu’ « une mise en balance entre, d’une part, le droit de la personne concernée au respect de sa vie privée et à la protection des données à caractère personnel la concernant et, d’autre part, le droit à la liberté d’information » (§72), ait été réalisée au préalable. En d’autres termes, cette mise en balance implique de mesurer de manière casuistique l’ampleur de l’atteinte aux droits susmentionnés dans l’hypothèse où le déréférencement mondial serait prononcé et, à l’inverse, dans le cas où il ne le serait pas. À l’issue de cette analyse, il en résultera généralement que le droit le touché par la décision l’emportera sur l’autre.
  • Par ailleurs, le Conseil d’État rappelle que lorsqu’il est saisi d’une requête dirigée contre une sanction prononcée par la CNIL et que celle-ci aurait pu être prise sur un autre fondement que celui retenu par l’autorité de sanction, le juge administratif peut substituer la base légale de la décision attaquée « sous réserve que la personne sanctionnée [ici la société Google Inc.] ait disposé des garanties dont est assortie l’application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée »[9] afin que celle-ci ne soit plus entachée d’erreur de droit.

Appliqué à l’espèce, le Conseil d’État rejette la demande de la CNIL tenant à la substitution du fondement initialement choisi pour sanctionner la société Google Inc. par le raisonnement de la CJUE reconnaissant aux autorités de contrôle nationales le pouvoir d’ordonner un déréférencement sur l’ensemble des versions du moteur de recherche.  Pourquoi ? Parce que le Conseil d’État observe qu’en l’état actuel du droit, le législateur français n’a pas adopté de dispositions législatives permettant d’ordonner un déréférencement hors de l’Union européenne. Il estime, ainsi, qu’un fondement jurisprudentiel n’est pas valable pour réaliser cette substitution.  En outre, quand bien même ce fondement le serait, le Conseil d’État souligne que la faculté d’exiger un déréférencement mondial ne peut être ouverte qu’au terme d’une balance des intérêts, chose que la formation restreinte de la CNIL n’a pas effectué.

Eu égard à ce qui précède, le Conseil d’État juge qu’un déférencement mondial ne peut être ordonné par la CNIL et que, par voie de conséquence, la société Google Inc. est fondée à demander l’annulation de la délibération attaquée.

3/ Le résultat incertain d’une future mise en balance des intérêts

Si le raisonnement entrepris par le Conseil d’État semble tout à fait cohérent au regard du droit européen et eu égard à l’absence de mise en balance des intérêts, on peut, toutefois, regretter qu’il ne se soit pas prononcé sur les mesures de géo-blocages mises en œuvre par Google Inc. à l’issue de sa mise en demeure. En effet, ces dernières semblaient permettre de bloquer l’accès aux liens litigieux pour les adresses IP réputées localisées dans l’Etat de résidence du bénéficiaire du droit au déréférencement à la suite d’une recherche effectuée à partir de son nom et ce, indépendamment de la déclinaison du moteur de recherche utilisée par l’internaute. Dès lors, il aurait été intéressant de voir si, à l’issue de la mise en balance des intérêts, ces mesures de géo-blocages auraient été considérées comme suffisantes pour faire droit aux arguments de Google Inc. et pour refuser de prononcer le déréférencement mondial.

En tout état de cause, il reste désormais à savoir comment cette mise en balance sera mise en œuvre par les différentes autorités nationales de protection des données personnelles. De son côté, dans sa délibération de 2016[10], la CNIL avait d’ores et déjà relevé que ces mesures n’étaient pas satisfaisantes en ce sens que l’information déréférencée demeurait consultable par tout internaute situé en dehors du territoire concerné par la mesure de filtrage et, d’autre part, qu’un contournement de cette mesure par les utilisateurs concernés restait possible (par exemple, en utilisant un VPN).

Droit du Partage continuera naturellement de suivre ces sujets pour vous.

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[1] Délibération n°SAN-2019-001 du 21 janvier 2019 Délibération de la formation restreinte n° SAN – 2019-001 du 21 janvier 2019 prononçant une sanction pécuniaire à l’encontre de la société GOOGLE LLC.

[2] Délibération de la formation restreinte n° 2016-054 du 10 mars 2016 prononçant une sanction pécuniaire à l’encontre de la société X.

[3] Décision n° 2015-047 du 21 mai 2015 mettant en demeure la société X.

[4] Aujourd’hui, « le droit à l’effacement » ou aussi dit « droit à l’oubli » est consigné à l’article 17 du Règlement sur la protection des données à caractère personnel (RGPD) et 40 de la loi informatique et libertés.

[5] CE, Section du contentieux, 10ème et 9ème chambres réunies ,19 juillet 2017, Google Inc., décision N°399922.

[6] CJUE (grande chambre), 24 septembre 2019, Google LLC contre Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), affaire C-507/17.

[7] L’erreur de droit peut résulter d’un détournement de procédure ou d’un défaut de base légale (par exemple, lorsque, comme en l’espèce, l’administration n’a pas fondé sa décision sur la bonne norme).

[8] CJUE (grande chambre), 24 septembre 2019, Google LLC contre Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), affaire C-507/17.

[9] Cette substitution se fait soit à la demande des parties soit de la propre initiative du juge (et dans cette seconde hypothèse, uniquement si les parties ont eu la possibilité de présenter des observations sur ce point).

[10] Délibération de la formation restreinte n° 2016-054 du 10 mars 2016 prononçant une sanction pécuniaire à l’encontre de la société X.

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Loi d’orientation des mobilités (LOM) : l’espoir ou le désespoir ?

Ça y est !

La loi d’orientation des mobilités (LOM) a été votée par l’Assemblée Nationale par 116 voix pour, 49 voix contre et 9 abstentions. Si le Conseil constitutionnel a rendu une décision de censure (voir la décision du Conseil Constitutionnel du 20 décembre 2019), l’essentiel semble fait : la grande loi sur les transports voulue par Emmanuel Macron a (enfin) vu le jour (voir la version publiée au JO le 26 décembre 2019).

Mais que ce fut long et compliqué … ! Et surtout, cette LOM tant attendue est-elle à la hauteur des attentes ?

Les pessimistes diront que les ambitions du texte ont diminué au fur et à mesure que les mois s’écoulaient (c’est dire à quel point le tout s’est réduit à peau de chagrin puisque les Assises de la Mobilité ont été lancée à l’automne 2017) et qu’une partie la loi est « vide » puisqu’il est renvoyé à des décrets, ordonnances et rapports (ces termes sont mentionnés à plus de 100 fois dans le texte). Les optimistes verront le début d’une nouvelle ère pour la mobilité et sauront tirer satisfaction des quelques avancées (par exemple, la consécration légale du « co-transportage de colis) ». Enfin, les réalistes retiendront l’importance du travail accompli pendant 2 années et la prise de conscience du grand public que la mobilité est un enjeu fondamental de notre société en cours de numérisation.

C’est l’occasion pour nous d’aborder les nouveautés et les regrets juridiques concernant les sujets que nous suivons.

Les nouveautés juridiques

Il nous semble que quelques éléments clés méritent d’être signalés :

le développement des règles relatives à l’ouverture des données de transport : sont imposés de nouveaux standards (notamment, en déclinant en droit français le règlement européen (UE) 2017/1926 du 31 mai 2017 relatif à la mise à disposition de services d’informations sur les déplacements multimodaux).

l’accompagnement des innovations dans le transport de marchandises : la loi consacre le « cotransportage de colis » (c’est-à-dire le déplacement de colis fondé sur le partage de frais) et prévoit qu’une ordonnance pourra définir les conditions d’exercice de l’activité des plateformes d’intermédiation numérique, notamment entre des clients et des entreprises réalisant du transport public routier de marchandises.

la nécessité d’expérimenter de nouvelles solutions dans le transport : le gouvernement peut prendre par voie d’ordonnance toute mesure à caractère expérimental visant à tester, dans des territoires peu denses, des solutions nouvelles de transport routier de personnes.

la mobilité autonome : indépendamment des enjeux technologiques (la principale question concernant leur maturité) et juridiques structurant (en particulier, la convention de Vienne de 1968 qui impose à tout conducteur d’avoir le contrôle de son véhicule), la LOM (en complément de la loi PACTE) initie une nouvelle étape règlementaire en ouvrant la voie à une adaptation de la législation pour la circulation sur la voie publique de véhicules terrestres à moteur dont les fonctions de conduite sont déléguées, partiellement ou totalement, à un système de conduite automatisé.

le free-floating : la loi complète le Code des transports en prévoyant un régime juridique pour les opérateurs de services de partage de véhicules, cycles et engins de déplacement de personnes ou de marchandises, mis à disposition sur la voie publie en libre-service sans station d’attache (en particulier, la faculté pour l’autorité compétente d’exiger que soit délivré un « titre » à l’opérateur pour exercer son activité). Cette nouveauté accompagne l’explosion des modèles de free-floating et il nous semble impératif que les textes les régissant ne soient pas étouffants et/ou appliqués avec trop de complexité (ce qui pourrait nuire à l’innovation) tout en gérant les enjeux de partage de l’espace public (lesquels ont une dimension importante de droit public).

Les regrets juridiques

En tant que juristes et enthousiastes des innovations portées par l’économie numérique, en particulier dans les transports, on peut regretter :

l’abandon des ambitions sur le co-voiturage : alors que des précisions sur le « partage des frais » (notamment, les éléments qui peuvent être pris en compte ou non) étaient attendues, la LOM ne précise rien mais des textes règlementaires pourraient le faire. Il s’agit d’une occasion manquée d’élargir la notion, de réduire l’incertitude juridique à laquelle certaines sociétés font face et de sécuriser des modèles innovants (par exemple, le covoiturage courte distance).

la quasi-disparition du plan vélo : le « plan vélo » était initialement ambitieux et radical, notamment pour renforcer les usages. Après de nombreux mois de travail législatif, les avancées sont limitées, ce qui est regrettable (si le marquage des vélos va devenir obligatoire, les incitations financières et fiscales sont limitées alors qu’elles permettent d’orienter les comportements).

les débats caricaturaux sur les « chartes » pour indépendants : on ne cesse d’opposer les indépendants et les salariés, comme s’il s’agissait de mondes irréconciliables et qu’il faudrait nécessairement que l’un prenne le dessus sur l’autre. L’article de la loi concernant les chartes a fait l’objet de nombreux débats et de vives critiques, ce qui occulte l’élément central : la construction d’un système de protection sociale compatible avec le marché du travail actuel (notamment, les carrières discontinues, le cumul de statuts ou des aspirations à plus de libertés dans son activité). C’est d’autant plus regrettable que le Conseil Constitutionnel a censuré une partie de cet article, vidant ainsi ce mécanisme d’une partie importante de sa substance.

l’abandon du transport occasionnel par les particuliers : dans une des versions de travail, il avait été envisagé, pour les territoires à faible densité de population et en cas d’inexistence ou insuffisance de l’offre de transports publics, d’autoriser des conducteurs « amateurs » à transporter des passagers contre rémunération (avec un plafond annuel de gains). Alors qu’il s’agissait d’une innovation juridique pour certains territoires (lorsqu’il s’agit de mobilité, on a tendance à penser qu’il s’agit exclusivement de Paris… or, les territoires ruraux et péri-urbains ont parfois plus de besoins de transports que les métropoles), cette piste a été abandonnée.

La suite ?

Il faut apprécier les suites qui seront données. Les textes d’application prévus sont nombreux (en particulier, les ordonnances et les décrets), de sorte qu’on ne pourra mesurer l’ambition réelle pour les nouvelles mobilités et l’innovation dans le transport qu’à l’aune de la réalité juridique effective. L’histoire de la LOM n’est donc pas terminée.

Droit du Partage vous tiendra évidemment informer des évolutions à venir.

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L’action de groupe : arme efficace contre l’utilisation abusive des données personnelles ?

Les données à caractère personnel sont un sujet clé de la vie numérique et de l’économie digitale. A la suite d’un nombre non négligeable de scandales, leur protection a progressivement pris une dimension toute particulière.

On peut citer à titre d’exemple : le vol de données Uber ayant conduit la CNIL à infliger au géant américain une amende record de 50 millions d’euros ; ou encore l’affaire Cambridge Analytica, société de profilage politique, soupçonnée d’avoir compilé, au moyen d’un quizz de personnalité, les données personnelles de près de 87 millions d’utilisateurs Facebook.

Pour autant face à ces situations les moyens mis à disposition des individus pour assurer effectivement le contrôle et la protection de leurs données à caractère personnel paraissent insuffisants.

1. Quid de l’action de groupe en France ?

De manière générale, l’action de groupe se définit comme « une action judiciaire diligentée par un représentant d’un groupe, désigné par la loi, afin que ledit groupe, suite au dommage de masse causé par les manquements d’un professionnel, puisse obtenir une réparation judiciaire » [1]. En d’autres termes, elle permet à un titulaire, spécialement déterminé par la loi, d’agir afin d’obtenir réparation des préjudices subis par un groupe de personnes aux torts d’un seul et même protagoniste.

A l’aube des années 1980, en l’absence d’instrument juridique en mesure de prendre acte et de sanctionner « les litiges de masse », la doctrine française commence à réfléchir à l’introduction de l’action de groupe en droit français[2]. Cependant, fort des dissensions et alternances politiques, le gouvernement français a longtemps craint l’introduction d’un tel mécanisme[3].

L’action de groupe a finalement été consacrée pour la première fois par la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite « loi Hamon ». Elle a ensuite été étendue à diverses sphères du droit, notamment en droit de la santé[4], en droit de l’environnement[5], en matière de discrimination au travail[6], ainsi qu’en matière de données personnelles.

2. Quel est le cadre juridique français de l’action de groupe en matière de données personnelles ?

  • De la demande de cessation à l’action en réparation

L’action de groupe en matière de données personnelles a été introduite en France par la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. Celle-ci a introduit dans la loi du 6 janvier 1978 dite « Informatique et Libertés » (LIL)[7], l’article 43 ter (désormais abrogé en raison d’une version plus récente du texte). L’objectif était de permettre aux personnes victimes de manquements aux obligations de protection des données personnelles, d’en demander la cessation devant la juridiction compétente.

Après la réforme législative du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles, le champ de cette action de groupe a été élargie. Cette réforme insère dans la LIL un nouvel article 37[8], permettant d’une part de demander la cessation du manquement, et / ou d’autre part « d’engager la responsabilité de la personne ayant causé le dommage afin d’obtenir réparation des préjudices matériels ou moraux subis ».

Conformément à l’article 37 de la LIL, lu en combinaison avec les articles 60 et suivants de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, cette action de groupe peut être respectivement portée devant la juridiction civile[9] ou la juridiction administrative[10] compétente. Le demandeur à l’action doit en informer la Cnil, afin que celle-ci puisse présenter des observations.

Il s’agit là de modifications opérées sous l’impulsion du droit de l’Union européenne et notamment du Règlement général sur la protection des données à caractère personnel du 27 avril 2016 dit « RGPD ». L’action de groupe est effectivement prévue par le RGPD, qui permet aux personnes physiques ayant subi un dommage matériel ou moral du fait de la violation d’obligations posées par le Règlement, d’obtenir réparation du préjudice subi.

  • Les conditions de l’action

Le fait générateur de l’action de groupe en matière de données personnelles est restreint : l’action ne peut être exercée que « lorsque plusieurs personnes physiques placées dans une situation similaire subissent un dommage ayant pour cause commune un manquement de même nature » aux dispositions du RGPD ou à celles de la loi du 20 juin 2018 relative aux données personnelles (LIL, art. 37 II).

Par ailleurs, en vertu de l’article 37 IV. de la LIL, seuls peuvent exercer une telle action :

  • « Les associations régulièrement déclarées depuis cinq ans au moins ayant dans leur objet statutaire la protection de la vie privée ou la protection des données à caractère personnel» ;
  • « Les associations de défense des consommateurs représentatives au niveau national et agréées, lorsque le traitement de données à caractère personnel affecte des consommateurs» ;
  • « Les organisations syndicales de salariés ou de fonctionnaires représentatives ou les syndicats représentatifs de magistrats de l’ordre judiciaire, lorsque le traitement affecte les intérêts des personnes que les statuts de ces organisations les chargent de défendre».

Il est important de noter, que l’action de groupe doit être précédée d’une mise en demeure en vue de faire cesser le manquement ou de réparer le(s) préjudice(s) subi(s). Ce n’est qu’à l’issue de l’expiration d’un délai de 4 mois, à compter de la réception de la mise en demeure, que l’action de groupe pourra être introduite devant la juridiction compétente[11].

3. Quelles sont les actions en cours ?

Alors même que les scandales portant sur l’utilisation massive et abusive des données à caractère personnel se multiplient, la France compte à ce jour un nombre restreint d’actions de groupe :

  • Internet Society France (ISOC France) c/ Facebook :

En novembre 2018, l’ONG annonçait vouloir engager la première action de groupe indemnitaire en matière de données personnelles[12].

Par une lettre de mise en demeure, l’ISOC France a alerté la plateforme de sept « atteintes récurrentes aux libertés et à la vie privée » de ses utilisateurs. L’internet Society reproche notamment au géant américain de collecter des données sensibles (l’orientation sexuelle, les opinions politiques et les croyances religieuses), de ne pas demander le consentement libre et éclairé des utilisateurs Facebook et WhatsApp ou encore l’absence de sécurisation efficace des données personnelles[13].

En l’absence de réponse, l’ONG a décidé de porter l’affaire devant les tribunaux français. Selon l’Agence France Presse (AFP), l’ISOC France a déclaré vouloir introduire une assignation devant le tribunal de grande instance de Paris au cours du mois de septembre 2019[14].

  • UFC-Que choisir c/ Google:

Le 26 juin dernier, UFC-Que choisir a introduit une action de groupe contre le géant de l’internet, pour collecte et exploitation de données utilisateurs contraires aux obligations posées par le RGPD.

Cette action concerne principalement les utilisateurs de produits Android. L’association pointe notamment du doigt le processus de création de compte : « nous considérons que le consentement des utilisateurs n’est pas obtenu de façon légale, notamment au travers de cases pré-cochées camouflées ». Selon elle, les utilisateurs n’auraient pas conscience de « l’intrusion massive » dans leur vie privée notamment au travers des données de géolocalisation et à fortiori de la finalité de cette collecte.

L’organisme a assigné Facebook devant le Tribunal de grande instance de Paris et est en attente d’une décision sur la responsabilité de Google dans le cadre de la collecte et du traitement des données personnelles de ses utilisateurs.

Droit du Partage continuera naturellement à suivre ce sujet pour vous.

[1] S. GUINCHARD, CHAINAIS et FERRAND, Procédure civile. Droit interne et droit de l’Union européenne, 2014, coll. Précis, Dalloz, n° 404

[2] Commission de refonte du droit de la consommation, sous la direction de J. CALAIS-AULOY, 1985

[3] Action de groupe – Sonia BEN HADJ YAHIA – Juin 2015, n°2 et suivants

[4] Article 184 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé

[5] Article L142-3-1 du code de l’environnement.

[6] Articles L.1134-6 à L.1134-10 du Code du travail.

[7] La loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle est venu modifier la loi Libertés et Informatiques.

[8] Article 37 de la  LOI n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

[9] Article 60 de la Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.

[10] Article 85 de la Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.

[11] Article 64 de la Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.

[12] Communiqué de l’ISOC France en date du 9 novembre 2018.

[13] Lettre recommandée avec accusé de réception adressée à Facebook France, Facebook Ireland LTD, Facebook Inc.

[14] Article de presse en date du 26 mars 2019 rédigé par l’AFP et publié sur CB News.

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Loi d’orientation des mobilités (LOM) : ce que l’avenir nous réserve

Le projet de loi d’orientation sur les mobilités (LOM) a été soumis au Conseil des Ministres du 26 novembre 2018 et vise à « réforme[r] en profondeur le cadre général des politiques de mobilités pour offrir […] des solutions de déplacement à la hauteur de leurs attentes et des enjeux d’aujourd’hui ». Nous proposons de tracer les grandes idées structurantes de la LOM qui vont impacter le numérique et les plateformes afin d’anticiper les évolutions du cadre juridique (retrouvez notre précédent article détaillant une version de travail du texte).

Clarifier la notion de partage de frais

L’article 17 prévoit qu’un décret précisera cette notion, très souvent débattue et parfois incomprise, en droit des transports (notamment en précisant les modalités du partage de frais entre conducteurs et passagers). Il sera intéressant de voir si les éléments de définition utilisés dans l’instruction fiscale du 30 août 2016 seront repris.

Nous espérons une définition large permettant d’englober le maximum de modèles économiques mais regrettons que cette notion soit, à ce stade, limitée aux voitures (nous militons pour une notion de « partage de frais » pour tout moyen de transport afin de sécuriser les modèles économiques innovants de la mobilité, par exemple les avions avec le coavionnage – voir un de nos derniers articles sur le sujet).

Ouvrir les données de mobilité

Dans le prolongement du mouvement initié par la loi Macron (lequel a été limité car le décret d’application n’a jamais été publié) et le règlement européen (UE) 2017/1926 du 31 mai 2017 relatif à la mise à disposition de services d’informations sur les déplacements multimodaux, la LOM (articles 9 et s.) devrait imposer de nouveaux standards en matière d’ouverture des données de transport. L’accès aux données conditionne notre capacité future à créer les modèles de la mobilité de demain.

Appréhender les innovations dans le transport de marchandises

Depuis l’explosion du secteur numérique, le transport de marchandises était le parent pauvre des réformes législatives et la LOM pourrait consacrer légalement ces modèles économiques innovants.

1/ Le cotransportage : l’article 16 ter de l’avant-projet de loi envisageait de créer un régime juridique pour le « cotransportage de colis » qui serait défini comme l’utilisation en commun, à titre privé, d’une voiture particulière, telle que définie par voie règlementaire, effectuée à titre non onéreux excepté le partage de frais, pour transporter des marchandises dans le cadre d’un déplacement qu’un conducteur réalise pour son propre compte (l’étude d’impact précise qu’un arrêté fixera le montant maximum des contributions pouvant être reçues au titre du cotransportage). La mise en relation à cette fin du conducteur avec la/les personne(s) qui lui confie(nt) le colis peut être effectuée à titre onéreux sans entrer dans le champ du commissionnaire de transports. Cependant, cet article n’est pas retenu dans la version de la LOM soumise au Conseil des Ministres (voir une précédente analyse de Droit du Partage).

2/ L’évolution de la définition du commissionnaire de transport : face à l’émergence des plateformes numérique effectuant une mise entre des donneurs d’ordre et des transporteurs pour la réalisation d’opérations de transport, la LOM envisage de clarifier le cadre juridique applicable à ces acteurs. Pour ce faire, la LOM envisage d’habiliter le gouvernement « à prendre par voie d’ordonnance toutes mesures relevant du domaine de la loi afin de définir les conditions d’exercice de l’activité des plateformes d’intermédiation numérique entre clients détenteurs de fret et entreprises de transport public routier de marchandises » (article 17). L’ordonnance, pouvant être adoptée dans un délai de douze mois à compter de la publication de la LOM, pourrait clarifier le statut juridique de ces plateformes de mise en relation, assurer la sécurité juridique des échanges et clarifier les règles relatives aux données.

Consacrer la mobilité autonome

Après la publication d’un décret le 28 mars 2018 concernant l’autorisation d’expérimentation de véhicules autonomes sur la voie publique, la LOM (articles 12 et 13) envisage d’autoriser le gouvernement à fixer, par voie d’ordonnances, un cadre juridique temporaire qui encadre le développement des véhicules autonomes, notamment pour « permettre la circulation sur la voie publique de véhicules terrestres à moteur dont les fonctions de conduite sont, dans un domaine d’emploi pré-défini, déléguées à un système de conduite automatisé, et de définir le régime de responsabilité applicable ».

Par ailleurs, la France militerait pour l’adoption d’un cadre juridique européen qui permettrait de construire cette filière industrielle au niveau de l’Union Européenne. Il nous semble impératif que l’Union prenne ses responsabilités en fixant les règles transnationales adéquates de nature à permettre aux entreprises européennes de rivaliser dans la compétition mondiale.

Encadrer le free-floating

La Ministre des Transports (Élisabeth Borne) avait annoncé lors d’une séance de questions au gouvernement qu’un cadre juridique pour ce type de services sera proposé, tout comme un nouveau statut juridique dans le Code de la route pour les trottinettes à assistance électrique.

La LOM (article 18) envisage que les autorités organisatrices de mobilité  (notamment les communes ou les syndicats mixtes de transport) puissent avoir la possibilité de soumettre les « services de partage de véhicules et d’engins » à des « prescriptions particulières » concernant (i) les informations que l’opérateur doit transmettre à l’autorité, (ii) les mesures devant être prises par l’opérateur afin de s’assurer du respect des règles de stationnement et de circulation en vigueur et (iii) les mesures que doit prendre l’opérateur pour assurer le retrait des engins et véhicules hors d’usage. En cas de non-respect des prescriptions fixées, une sanction maximale de 300.000 euros pourrait être prononcée à l’encontre de l’opérateur.

Augmenter la protection des travailleurs indépendants

La LOM (article 20) suggère de compléter le régime de responsabilité sociale des plateformes de mise en relation (articles L. 7342-1 et suivants du Code du travail). La disposition précise entre autres que la plateforme « peut établir une charte déterminant les conditions et modalités d’exercice de sa responsabilité sociale, définissant ses droits et obligations ainsi que ceux des travailleurs avec lesquels elle est en relation ».

Cette charte, initialement proposée dans la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, vise à augmenter la protection des travailleurs indépendants trouvant des clients grâce aux plateformes (en particulier, dans les secteurs du transport de personnes et de la livraison) et à apporter de la sécurité juridique à ces acteurs numériques (notre analyse sur le sujet).

Favoriser les expérimentations des nouvelles mobilités

Plus généralement, adoptant une démarche innovante et visionnaire, l’article 14 de la LOM envisage d’autoriser le gouvernement à prendre, par ordonnance, dans un délai de 2 ans à compter de la promulgation de la LOM, « toute mesure à caractère expérimental relevant normalement du domaine de la loi […] visant à faciliter les expérimentations d’innovations de mobilités ». L’objectif affiché est de permettre de réaliser des tests grâce à des ordonnances, ce qui revient à accorder de la flexibilité aux entrepreneurs avec une certaine protection juridique.

À suivre

La LOM sera examinée au Sénat à compter du mois de février 2019 et donnera sans aucun doute lieu à de nombreux débats car elle concentre beaucoup d’espoirs pour l’avenir de la mobilité. Le texte est ambitieux et pourrait déboucher sur des progrès majeurs pour les modèles innovants du secteur. Nous espérons que la LOM permettra de favoriser l’innovation, sécuriser les modèles économiques et aider les utilisateurs à bénéficier de solutions de mobilité performantes.

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Loi d’orientation sur les mobilités (LOM) : ce que nous réserve ce projet de loi

Le projet de loi d’orientation sur les mobilités (LOM) devrait être rendu public prochainement et nous ne manquerons pas de revenir en détails sur celui-ci. Dans cette attente, nous proposons de de tracer les grandes idées structurantes de la LOM qui vont impacter le numérique et les plateformes afin d’anticiper les évolutions du cadre juridique.

Autoriser le transport occasionnel rémunéré effectué par des particuliers

Alors que les juges ont lourdement sanctionné les modèles de « UberPop » et « Heetch » (voir un de nos articles sur le sujet) pour avoir permis à des particuliers d’en transporter d’autres moyennant des sommes excédant le « partage de frais » (à notre connaissance, les affaires sont actuellement examinées en appel), le législateur envisage aujourd’hui d’autoriser des conducteurs « amateurs » à transporter des passagers contre rémunération.

Cette mesure pourrait être applicable pour les territoires à faible densité de population et en cas d’inexistence ou insuffisance de l’offre de transports publics. De plus, pour fixer cette nouvelle possibilité dans de strictes limites, le législateur envisagerait de soumettre cette possibilité à une autorisation individuelle et à un plafond annuel de gains.

Cette innovation juridique est intéressante puisqu’elle permettrait de créer de nouveaux réseaux de transport et de renforcer le maillage territorial grâce aux particuliers non professionnels. Nous saluons cette initiative ambitieuse et espérons que les conditions d’application ne seront pas trop restrictives pour ne pas priver cette mesure de toute portée.

Promouvoir la mobilité partagée

Le gouvernement envisage de mettre la mobilité partagée (en particulier, le co-voiturage et l’autopartage) au cœur de la LOM. Plus particulièrement, deux sujets ont retenu notre attention :

la clarification de la notion de « partage de frais » : un décret pourrait préciser cette notion, très souvent débattue et parfois incomprise, en droit des transports. Il serait intéressant de voir si les éléments de définition au sens du droit fiscal (voir notre article sur l’instruction du 30 août 2016 concernant la co-consommation) sont repris. Nous espérons une définition plus large permettant d’englober plus de modèles économiques mais regrettons que cette notion soit limitée aux voitures (nous militons pour une notion de « partage de frais » pour les personnes et les marchandises ainsi que pour tout moyen de transport afin de sécuriser les modèles économiques innovants de la mobilité).

l’ouverture des données de covoiturage : dans le prolongement du mouvement initié par la loi Macron (lequel a été limité car le décret d’application n’a jamais été publié) et le règlement européen (UE) 2017/1926 du 31 mai 2017 relatif à la mise à disposition de services d’informations sur les déplacements multimodaux, la LOM devrait imposer de nouveaux standard en matière d’ouverture des données de transport. Nous espérons que cette ouverture sera la plus large possible car l’accès à ces informations conditionne notre capacité future pour créer les modèles de la mobilité de demain.

Appréhender les innovations dans le transport de marchandises

Depuis l’explosion du secteur numérique (voir par exemple, notre article sur les enjeux juridiques du transport de marchandises), le transport de marchandises est le parent pauvre des réformes législatives. Souvent jugé trop technique ou trop éloigné des préoccupations quotidiennes des français, il s’agit pourtant d’un domaine (le transport de marchandises et la logistique) où le besoin d’innovations est criant et où les opportunités sont nombreuses (le numérique permet de mobiliser des segments de marchés jusqu’à présent non rentables).

À la fin du mois d’avril 2018, le député Damien Pichereau a rendu un rapport intitulé « Pour une meilleure régulation et des usages maitrisés » concernant les véhicules utilitaires légers. Si ce rapport nous semble orienté vers une importante augmentation des contraintes sur les acteurs du numérique (on peut d’ailleurs être surpris qu’aucun « acteur numérique » n’ai été auditionné dans le cadre de la mission de ce député), il a au moins le mérite de positionner le sujet sur le devant de la scène.

Nous souhaitons que la LOM soit un véhicule législatif contenant des dispositions spécifiques sur le transport de marchandises afin de sécuriser les modèles innovants du secteur et que le tournant « conservateur » esquissé par le rapport Pichereau ne soit pas suivi (par exemple, il ne fait aucun sens juridique ou business d’imposer à toute plateforme d’être commissionnaire de transport car cela dépend de chaque modèle économique).

Consacrer la mobilité autonome

Les enjeux juridiques concernant les véhicules autonomes (qu’il s’agissent de ceux transportant des passagers ou manipulant des objets/marchandises) sont au cœur de cette mutation technologique majeure (voir un panorama détaillé et une interview à ce sujet sur « Tech and Co » de BFM Business).

Après la publication d’un décret le 28 mars 2018 concernant l’autorisation d’expérimentation de véhicules autonomes sur la voie publique, la LOM devrait créer un cadre règlementaire propre pour le véhicule autonome (y compris pour les véhicules de niveau 5, c’est-à-dire complètement autonomes). Un rapport détaillé a été publié en même temps qu’Anne-Marie Idrac fournissait les conclusions de sa mission consistant à définir une stratégie concernant la mobilité autonome. Les actions pratiques sont précisées et listées aux pages 81 et suivantes pour mettre en œuvre une politique ambitieuse dans ce domaine.

Par ailleurs, la France militerait pour l’adoption d’un cadre juridique européen qui permettrait de construire cette filière industrielle au niveau de l’Union Européenne. Il nous semble impératif que l’Union prenne ses responsabilités en fixant les règles transnationales adéquates de nature à permettre aux entreprises européennes de rivaliser dans la compétition mondiale.

Droit du Partage vous tiendra évidemment informer des évolutions à venir.

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Quelle régulation pour les plateformes numériques ?

Ça y est, le(s) législateur(s) ont les yeux rivés sur les plateformes numériques et rien ne peut les en détourner !

Tout le monde veut prendre part à ce mouvement de régulation, de sorte que la Commission Européenne travaille à un cadre juridique spécifique (notamment avec la publication le 26 avril 2018 d’un projet de règlement intitulé « platform to business » qui contient d’importantes obligations de transparence et de loyauté à la charges des intermédiaires en ligne – article Droit du Partage à suivre) et que le gouvernement du président Macron planche à plusieurs mesures concrètes pour renforcer les obligations de ces acteurs (par exemple, Mounir Mahjoubi s’est prononcé en faveur d’un régime de responsabilité propre aux plateformes).

Mais n’est ce pas trop ?

Reprenons les choses d’un point de vue juridique pour bien comprendre :

1/ Les règles applicables aux acteurs du numérique trouvent principalement leur source dans la directive du 8 juin 2000 sur le commerce électronique (2000/31/CE) qui a été transposée en droit français par la loi pour la confiance en l’économie numérique du 21 juin 2004 (LCEN). De ces textes, interprétés par la jurisprudence, on peut tirer trois catégories (les fournisseurs d’accès à internet, les hébergeurs et les éditeurs) qui ont chacune leurs contraintes juridiques (notamment en matière de responsabilité).

2/ Le développement des plateformes numériques questionne depuis plusieurs années cette distinction traditionnelle qui parait aujourd’hui parfaitement inadaptée à ces nouveaux modèles économiques. Il en résulte donc une insécurité juridique problématique pour les entreprises qui exploitent ces plateformes car il est impossible de déterminer les contours exacts de leur responsabilité civile et pénale.

3/ En l’absence de nouvelles dispositions européennes/nationales, c’est au juge qu’il appartient de fixer les limites de la responsabilité et du rôle des plateformes. On assiste donc à la création d’un régime éclaté résultant de décisions de justice prises sur la base de situations factuelles contingentes à chaque dossier (les décisions ne fixent pas les mêmes règles selon qu’il s’agisse du Bon Coin, d’Alibaba ou d’Airbnb).

Quelles sont donc les options ?

La première, qui est la plus logique mais également la plus ambitieuse (sans compter que c’est également la plus longue à mettre en oeuvre…), est la révision de la directive sur le commerce électronique pour s’adapter aux mutations de l’économique numérique en fixant une nouvelle typologie des acteurs de l’internet. La seconde, qui est plus raisonnable mais qui pourrait être à l’origine de complications juridiques, consisterait pour la France à fixer des règles spécifiques aux plateformes numériques dans l’attente d’une harmonisation européenne. La troisième, qui selon nous n’est ni souhaitable ni réaliste, serait de ne rien faire et/ou d’imposer des contraintes excessives qui conduiraient à étouffer les initiatives business.

Il nous semble que c’est la seconde option qui est actuellement poursuivie puisqu’un régime juridique spécial aux plateformes numériques existe depuis 2015. Ces acteurs ont désormais des obligations qui leur sont propres avec la certification annuelle (qui va évoluer avec le projet de déclaration automatisée des revenus par les plateformes à l’administration fiscale), les obligations d’information et de transparence (imposées par la loi pour une République Numérique et ses décrets d’application) et la responsabilité sociale des plateformes vis-à-vis des travailleurs indépendants. Il manque cependant une règle qui puisse régir la responsabilité de ces acteurs et il nous semble important de prendre le temps de fixer une règle adaptée en tenant compte des différences entre les modèles économiques (il n’y a aucun sens à fixer les mêmes obligations à Uber, Blablacar et Le Bon Coin – nous avons proposé des critères juridiques de distinction pour fonder les grandes lignes d’un régime).

Ce sujet est fondamental car il permet de (i) sécuriser les entrepreneurs dans leurs entreprises et de (ii) permettre une adoption massive de ces nouveaux modèles en assurant la protection des utilisateurs (par exemple, concernant les conditions d’utilisation des services ou les données personnelles). Pour construire un secteur numérique fort, il faut que les règles soient adaptées aux modèles économiques et acceptées par les acteurs, faute de quoi l’innovation sera plus compliquée et les projets seront mis en oeuvre hors de France.

Droit du Partage continuera à suivre ces sujets pour vous.

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Transmission automatique des revenus par les plateformes : ça approche !

Alors que l’année 2016 touchait à sa fin, l’article 24 de la loi de finances rectificative pour 2016 (publiée au Journal Officiel le 30 décembre) créait une nouvelle dimension au régime juridique des plateformes en ligne. Le nouvel article 1649 quater A bis du Code général des impôts prévoit que :

« Les opérateurs de plateforme en ligne au sens de l’article L. 111-7 du code de la consommation adressent à l’administration fiscale une déclaration mentionnant, pour chacun de leurs utilisateurs présumés redevables de l’impôt en France, les informations suivantes : 

1° Pour une personne physique, le nom, le prénom et la date de naissance de l’utilisateur

2° Pour une personne morale, la dénomination, l’adresse et le numéro SIREN de l’utilisateur

3° L’adresse électronique de l’utilisateur

4° Le statut de particulier ou de professionnel caractérisant l’utilisateur sur la plateforme

5° Le montant total des revenus bruts perçus par l’utilisateur au cours de l’année civile au titre de ses activités sur la plateforme en ligne, ou versés par l’intermédiaire de celle-ci

6° La catégorie à laquelle se rattachent les revenus bruts perçus. 

Cette déclaration est adressée annuellement par voie électronique, selon des modalités fixées par décret. Une copie de cette déclaration est adressée par voie électronique à l’utilisateur, pour les seules informations le concernant ».

Si cette obligation est applicable à compter du 1er janvier 2019 (c’est-à-dire que les premières déclarations auront lieu en 2020), cela ne signifie pas pour autant que le législateur se désintéresse de cette question puisque le gouvernement a évoqué, lors du Conseil des Ministres du 28 mars 2018, le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale, lequel contient des dispositions sur les plateformes numériques.

Tout d’abord, nous comprenons que le projet de loi modifie les dispositions du Code général des impôts en précisant les obligations déclaratives des plateformes numériques de mise en relation qui sont tenues de :

  • fournir, à l’occasion de chaque transaction, une information loyale, claire et transparente sur les obligations fiscales et sociales qui incombent aux personnes qui réalisent des transctions par leur intermédiaire.
  • mettre à disposition des utilisateurs un lien électronique vers les sites de l’administration leur permettant de se conformer à ces obligations.

Le non respect d’une de ces obligations est sanctionné par une amende de 50.000 euros.

Ensuite, nous comprenons que le projet de loi envisage de soumettre les plateformes à une obligation annuelle de transmission à chaque utilisateur, ayant effectué une transaction par leur intermédiaire, d’un document mentionnant le nombre et le montant total brut des transactions réalisées au cours de l’année civile. Un document récapitulant l’ensemble de ces informations pour l’ensemble des utilisateurs doit également être adressé par les plateformes, chaque année, à l’admnistration fiscale. Le non respect de ces obligations est sanctionné par une amende de 5% du montant des sommes non déclarées par la plateforme.

Ces nouvelles dispositions concernent une activité de services fournis à distance par voie électronique à la demande de particuliers et contre rémunération (c’est le modèle des plateformes numériques), ce qui implique une notification préalable à la Commission européenne en vertu de la directive 2015/1535 du 9 septembre 2015. Cependant, le Conseil d’Etat considère que cette notification peut être reportée à l’examen de l’arrêté d’application de ces nouvelles règles puisque les dispositions législatives ne sont pas par elles mêmes applicables en l’absence de ce texte d’application (voir l’avis n°394440 du 22 mars 2018).

Le mécanisme actuellement envisagé n’est que le développement et le renforcement de la substance des obligations prévues par l’article 242 bis du Code général des impôts, lequel devrait être amené à évoluer. La transition entre le système actuel (certification annuelle) et la déclaration automatisée des revenus devrait être progressive car la déclaration automatisée serait effectuée pour la première fois en 2020 par les plateformes (pour les revenus perçus en 2019).

Les plateformes numériques de mise en relation disposent donc de deux ans pour se mettre en conformité avec les règles applicables (article 242 bis du Code général des impôts) et de faire évoluer leurs procédures internes pour anticiper le système de déclaration automatisée des revenus (ce qui est plus contraignant et soumis à des sanctions plus lourdes).

L’examen de ce projet de loi pourrait également être l’occasion pour le Parlement d’introduire une simplification des règles fiscales/sociales applicables aux revenus occasionnels perçus par les particuliers par l’intermédiaire de plateformes numériques de mise en relation (voir notre commentaire de la proposition de loi de mars 2017).

Droit du Partage continuera à suivre ces sujets pour vous.

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Numérique et plateformes : ce qui change en 2018

Entre les bonnes résolutions et l’entrée en vigueur des nouvelles règles législatives/règlementaires, le début d’année est chargé ! C’est particulièrement vrai pour les entrepreneurs du secteur du numérique puisque,  pour faire face à l’essor de ce secteur, un cadre juridique spécifique est en construction.

Alors qu’est ce qui change en 2018 ?

Être exhaustif serait trop long, aussi nous vous proposons d’insister sur les éléments clés à retenir pour tenir le cap en 2018 :

– les obligations d’information et de loyauté des plateformes : les dispositions de deux décrets d’application de la Loi pour une République Numérique (dite Lemaire) sont applicables à compter du 1er janvier 2018. Elles concernent l’information des utilisateurs et le classement/référencement des offres sur les places de marché (notre article détaille ces obligations).

– la certification annuelle des plateformes : toute entreprise mettant en relation par voie électronique des personnes en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un bien ou d’un service doit être certifiée par un tiers indépendant avant le 15 mars 2018. Cette obligation impose à l’entité opérant une plateforme (i) d’envoyer (avant le 31 janvier 2018) à chaque utilisateur un récapitulatif annuel des transactions réalisées en 2017 et (ii) d’informer « à chaque transaction » les utilisateurs de leurs obligations sociales et fiscales pour les sommes perçues (voir notre analyse du dispositif juridique).

– les données personnelles : le règlement sur la protection des données personnelles (dit « RGPD ») entrera en vigueur le 25 mai 2018, ce qui impose que les entreprises du secteur numérique (qui traitent beaucoup de données personnelles relatives à leurs utilisateurs) prennent des mesures adéquates pour se conformer aux nouvelles règles. Un article détaillant les règles clés et la mise en oeuvre de ce règlement en droit français sera bientôt publié sur Droit du Partage.

– les paiements : la directive sur les services de paiement (dite « DSP2 ») entre en vigueur et apporte des nouveautés concernant l’encadrement juridique des flux financiers (voir notre article sur le sujet).

– la fiscalité des sommes perçues par les utilisateurs via des plateformes : le débat sur le sort des « revenus complémentaires » n’est pas clos car la Loi de Finances pour 2018 n’a pas retenu l’idée de franchise fiscale (c’est à dire la proposition qu’en dessous d’un certain seuil [3.000 euros étaient envisagés] les sommes perçues par l’intermédiaire des plateformes ne seraient pas imposables) – voir notre analyse de la proposition de loi du Sénat déposée en mars 2017.

– le travail indépendant : l’explosion des nouvelles formes de travail conduit le législateur à s’interroger sur l’encadrement des nouveaux modèles d’affaires. Si les règles actuelles nous semblent suffisamment détaillées et claires pour autant qu’on conduise une analyse approfondie (la présomption de non salariat étant consacré par la loi et le faisceau d’indices retenu pour caractériser le lien de subordination étant précisé par la jurisprudence – voir les dernières évolutions en la matière), le gouvernement envisagerait de faire évoluer certaines dispositions dans la loi à venir sur la sécurisation des parcours, la formation professionnelle et l’assurance chômage. En tout état de cause, ce qui entre en vigueur en 2018 est le doublement du plafond pour les auto-entrepreneurs.

Il convient également de garder en ligne de mire les évolutions au niveau européen. On peut ainsi mentionner la récente décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) du 20 décembre 2017 concernant Uber (voir notre analyse) mais également les enjeux fondamentaux ayant trait à la fiscalité des géants de l’internet, au statut des plateformes en droit de l’Union Européenne ou à l’initiative de la Commission européenne sur le Marché Unique Numérique (Digital Single Market).

Cette année 2018 sera riche en évolution et ces sujets doivent être attentivement surveillés.

Droit du Partage vous tiendra naturellement informés.

 

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Uber, un service dans le domaine des transports pour la CJUE

Cette décision était attendue depuis plusieurs mois, notamment en raison de la position prise par l’avocat général Maciej Szpunar dans ses conclusions en mai 2017 (voir notre article sur le droit des transport et le droit européen). L’enjeu de ce renvoi préjudiciel (procédure permettant d’interroger la Cour de Justice de l’UE sur l’interprétation et la portée de textes issus du droit européen) était de savoir quel corps de règle peut être applicable à Uber : est une entreprise de transport ou une société de l’information ?

Dans son arrêt du 20 décembre 2017 (affaire C-343/15, Asociacion Profesional Elite Taxi / Uber Systems Spain SL), la Cour déclare que le service d’intermédiation en cause (un service rémunéré de mise en relation de chauffeurs non professionnels avec des personnes souhaitant effectuer des déplacements urbains) relève de la qualification de « service dans le domaine des transports » au sens du droit de l’Union Européenne, de sorte qu’il est exclu du champ d’application de la libre prestation de services et du cadre relatif au commerce électronique. La conséquence est la suivante : les Etats Membres peuvent règlementer ces services dans le respect des principes généraux du droit européen.

La Cour justifie cette décision en relevant que Uber ne se limite pas à une mise en relation (§37) puisqu’est créée une offre de services de transports rendue accessible au grand public par des outils informatiques (§38). Il est également relevé que la présence d’Uber est indispensable à l’existence et au fonctionnement du service mais également qu’Uber fixe les conditions de la prestation (§39). Sur cette base, la Cour conclut que « ce service d’intermédiation doit donc être considéré comme faisant partie intégrante d’un service global dont l’élément principal est un service de transport et, partant, comme répondant à la qualification non pas de « service de la société de l’information », au sens de l’article 1er, point 2, de la directive 98/34, auquel renvoie l’article 2, sous a), de la directive 2000/31, mais de « service dans le domaine des transports », au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous d), de la directive 2006/123« .

Cet arrêt est important puisqu’il statue sur la nature du service offert par la plateforme Uber. Plus généralement, cela pose la question du rôle de la plateforme et du service offert par celle-ci. Il nous semble illusoire de penser qu’il est possible de se passer des nuances nécessaires pour appréhender la diversité des modèles économiques des plateformes. Il est impossible de réfléchir aux entreprises du numérique, en particulier à leur cadre juridique et à leur responsabilité, sans s’interroger sur ces nouveaux objets de droit. Dans cette perspective et afin de sécuriser les modèles économiques, nous avons proposé des catégories qui pourraient initier une refonte des règles applicables aux acteurs du numérique / de l’internet (voir nos propositions ici).

Il est encore tôt pour apprécier les conséquences de cet arrêt du 20 décembre 2017 mais, sans aucun doute, c’est une décision clé dans la compréhension et l’appréhension par le droit des modèles économiques du numérique.

Droit du Partage continuera à suivre ces sujets pour vous.

 

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Pour un droit des plateformes, distinguons les !

Depuis 2013, Droit du Partage décrypte l’économie des plateformes d’un point de vue juridique et ébauche les contours d’un régime juridique dédié à ces acteurs (voir un précédent article contenant un premier effort de définition). Le développement constant de ces intermédiaires est allé de pair avec une grande diversité dans les modèles d’affaires déployés dans le numérique. A titre d’exemple, les business models des plateformes sont très différents (LeBonCoin, Blablacar et Uber sont aisément différentiables) puisque (i) chacune s’implique à un degré différent dans les transactions qui font l’objet de la plateforme et que (ii) chacune se rémunère différemment. Pourtant, ces entreprises peuvent être appréhendées comme des « plateformes ».

En droit français, le terme de « plateforme » est aujourd’hui utilisé dans le Code général des impôts, le Code de la consommation et le Code du travail, bien que les termes de la définition varient légèrement.

Dès lors, faut-il appliquer des règles identiques à toutes ces plateformes ? Comment faire pour que le cadre juridique soit adapté à chaque acteur ?

Nous avons la conviction qu’un droit des plateformes est en train de naître (voir notre article), ce qui implique de construire des catégories qui déclencheraient l’application d’un régime juridique propre.

Quels critères de distinction ?

L’outil principal de distinction entre les plateformes pourrait résider dans la fixation des prix et le contrôle de tout ou partie de la prestation : là où certaines plateformes fournissent seulement des services technologiques à leurs utilisateurs offreurs et leurs utilisateurs demandeurs sans exercer de pouvoir de fixation des prix des biens et services, d’autres gardent le contrôle du prix de la prestation.

Ce pouvoir de fixation des prix et de standardisation des services par la plateforme a déjà servi de critère de mise en œuvre de la notion de responsabilité sociale des plateformes : les plateformes qui contrôlent le prix de la prestation effectuée par leur intermédiaire et en déterminent les caractéristiques essentielles (la manière de rendre le service) sont naturellement plus impliquées dans la prestation et justifient sans doute des obligations plus larges.

Un autre outil de distinction réside dans la connaissance des transactions par la plateforme. Certaines plateformes se bornent à mettre à disposition une place de marché sur laquelle les utilisateurs sont libres de se rencontrer, de négocier puis de conclure la transaction à des conditions librement déterminées sans que la plateforme ne soit informée et/ou impliquée. D’autres en revanche exercent davantage de contrôle sur les interactions entre utilisateurs, sans aller jusqu’à fixer les prix et les caractéristiques essentielles de la prestation, mais en ayant connaissance des transactions, ce qui passe le plus souvent par la mise en place d’une système de paiement en ligne et assure un confort d’utilisation aux utilisateurs tout en garantissant à la plateforme le versement d’une commission au titre de ses frais de mise en relation.

Une catégorie, trois sous-catégories

Il nous semble utile de conserver la notion d’« hébergeur » car elle correspond à des acteurs spécifiques qui stockent et hébergent les données des autres. A cette première catégorie, pourrait s’ajouter celle d’ « éditeur », limitée aux sites internet qui ne mettent pas en relation une offre et une demande (comme par exemple les sites de presse ou les réseaux sociaux).

La notion de plateforme bénéficierait elle d’une définition générale et de trois définitions particulières déclenchant un corps de règles spécifiques :

1/ Plateforme « Technique » : absence de fixation des prix + absence de détermination des caractéristiques de la prestation + absence de connaissance des transactions (il s’agit d’une place de marché où l’offre et la demande se rencontrent et la plateforme n’a qu’un rôle technique de formalisation de ce marché).

2/ Plateforme « Marché » : absence de fixation des prix + absence de détermination des caractéristiques essentielles de la prestation + connaissance des transactions (il s’agit d’une place de marché où l’offre et la demande se rencontrent et où la plateforme a connaissance des transactions et endosse un rôle actif avant et/ou après la transaction). Les parties conservent une autonomie dans la création du rapport contractuel.

3/ Plateforme « Service » : fixation des prix + détermination des caractéristiques essentielles de la prestation + connaissance des transactions (il s’agit d’une place de marché où l’offre et la demande se rencontrent et où la plateforme encadre / maîtrise les transactions). Une des parties ne dispose pas d’autonomie dans la création du rapport contractuel.

Il pourrait être utile de réfléchir à l’opportunité de créer un régime juridique avec des obligations variables et qui s’appliqueraient aux différents types de plateformes (les obligations pesant sur les plateformes « Services » étant plus importantes que celles pesant sur les plateformes « Marché » et que celles pesant sur les plateformes « Techniques »).

Les travaux actuels de la Commission et du Parlement européen pourraient aller dans ce sens, puisque l’approche choisie par les instances européennes consistait à distinguer selon le degré de « contrôle » de la plateforme sur l’offre et la demande qu’elles agrègent.

Droit du Partage continuera naturellement à vous tenir informés.

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