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Pas de droit à l’oubli mondial : l’arrêt Google du Conseil d’État du 27 mars 2020 le confirme !

En janvier 2019[1] (voir notre article sur le sujet), la société Google était condamnée à la plus grosse amende jamais prononcée par la CNIL (50 millions d’euros). Dans cette nouvelle affaire, elle échappera à toute sanction ! Pour mieux la comprendre, il faut remonter quelques années en arrière.

Le 10 mars 2016[2], par une délibération de la formation restreinte de la CNIL, la société Google Inc., exploitant le moteur de recherche Google, a été sanctionnée à hauteur de 100.000 euros, après une mise en demeure[3] demeurée infructueuse, de procéder au déréférencement du nom et prénom de plusieurs personnes physiques sur l’ensemble de ses extensions. Rappelons que le déréférencement est la technique qui permet de faire supprimer un ou plusieurs résultats fournis par un moteur de recherche à l’issue d’une requête (pour faciliter cette démarche, Google Inc. met à disposition un formulaire spécifique en ligne).

Plus précisément, il était reproché à la société Google Inc. d’avoir violé le droit pour une personne de s’opposer à ce que ses données personnelles fassent l’objet d’un traitement en vertu des articles 38 et 40 de la loi informatique et libertés (dans leur ancienne rédaction[4]). En effet, Google Inc. refusait de déréférencer les liens renvoyant au contenu litigieux sur l’ensemble des extensions de son moteur de recherche et n’acceptait de le faire que pour celles des pays européens. Autrement dit, en reprenant le nom et prénom des personnes concernées, quiconque pouvait avoir accès aux pages web litigieuses à partir d’une extension non-européenne du moteur de recherche.

Au soutien de sa position, Google Inc. insistait notamment sur le fait que (i) la CNIL excédait ses pouvoirs en voulant imposer une mesure ayant une portée extraterritoriale et (ii) qu’un déréférencement mondial contrevenait de manière disproportionnée à la liberté d’expression de l’auteur du contenu et à la liberté d’information des internautes (puisqu’en supprimant les liens renvoyant vers le contenu litigieux, ce dernier ne serait plus accessible ni visible depuis Google, le plus gros moteur de recherche au monde).

Google Inc. a introduit un recours auprès du Conseil d’État dans le but obtenir l’annulation de la sanction dont elle faisait l’objet. Par un arrêt du 19 juillet 2017[5], le Conseil d’État a transmis à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) trois questions préjudicielles à des fins de clarification de l’interprétation du droit européen. Le 24 septembre 2019[6], la CJUE a rendu un arrêt favorable à l’interprétation de Google Inc. L’affaire étant en état d’être jugée, le Conseil d’État a rendu son arrêt le 27 mars 2020 et a précisé la portée territoriale du droit au déréférencement.

1/ Principe : l’absence d’un droit au déréférencement mondial

Dans un premier temps, le Conseil d’État rappelle la portée géographique du droit au déréférencement, précisée par la CJUE dans son arrêt du 24 septembre 2019. À cet égard, la Cour disposait que « lorsque l’exploitant d’un moteur de recherche fait droit à une demande de déréférencement en application de ces dispositions, il est tenu d’opérer ce déréférencement non pas sur l’ensemble des versions de son moteur, mais sur les versions de celui-ci correspondant à l’ensemble des Etats membres » (§73). La Cour ajoutait que cette mesure de déréférencement pouvait être accompagnée de mesures permettant d’empêcher ou de décourager les internautes effectuant une recherche, d’avoir accès aux liens litigieux. 

Or, le Conseil d’État expose que la formation restreinte de la CNIL a sanctionné la société Google Inc. au motif qu’elle refusait de faire droit à une demande de déréférencement sur l’ensemble des noms de domaine de son moteur de recherche et se bornait à supprimer les liens en cause des seuls résultats affichés sur ses extensions européennes. Qui plus est, la CNIL estimait insuffisant le mécanisme de géo-blocage proposé par Google Inc. en complément de son déréférencement à l’échelle de l’Union européenne.

Ainsi, transposant le raisonnement de la CJUE, le Conseil d’État ne fait pas droit à l’interprétation de la CNIL. Il juge, en effet, qu’en sanctionnant la société Google Inc. au motif que seule une mesure s’appliquant à l’intégralité du traitement lié au moteur de recherche pourrait répondre à l’exigence de protection des données personnelles telle que consacrée par la CJUE, « la formation restreinte de la CNIL a entaché la délibération en cause, d’erreur de droit[7] » (§7).

2/ Exception : un droit au déréférencement mondial à l’issue d’une mise en balance des intérêts minutieuse

Si le principe tient à l’absence d’un droit au déréférencement mondial, le Conseil d’État y apporte, toutefois, quelques nuances :

  • Reprenant les arguments invoqués en défense par la CNIL, le Conseil d’État rappelle que la CJUE précisait dans l’arrêt précité[8] que «si (…) le droit de l’Union n’impose pas, en l’état actuel, que le déréférencement auquel il serait fait droit porte sur l’ensemble des versions du moteur de recherche en cause, il ne l’interdit pas non plus » (§72). Elle ajoute, néanmoins, que si les autorités de contrôle ou judiciaires d’un Etat membre demeurent compétentes pour enjoindre un déréférencement mondial, c’est à la condition qu’ « une mise en balance entre, d’une part, le droit de la personne concernée au respect de sa vie privée et à la protection des données à caractère personnel la concernant et, d’autre part, le droit à la liberté d’information » (§72), ait été réalisée au préalable. En d’autres termes, cette mise en balance implique de mesurer de manière casuistique l’ampleur de l’atteinte aux droits susmentionnés dans l’hypothèse où le déréférencement mondial serait prononcé et, à l’inverse, dans le cas où il ne le serait pas. À l’issue de cette analyse, il en résultera généralement que le droit le touché par la décision l’emportera sur l’autre.
  • Par ailleurs, le Conseil d’État rappelle que lorsqu’il est saisi d’une requête dirigée contre une sanction prononcée par la CNIL et que celle-ci aurait pu être prise sur un autre fondement que celui retenu par l’autorité de sanction, le juge administratif peut substituer la base légale de la décision attaquée « sous réserve que la personne sanctionnée [ici la société Google Inc.] ait disposé des garanties dont est assortie l’application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée »[9] afin que celle-ci ne soit plus entachée d’erreur de droit.

Appliqué à l’espèce, le Conseil d’État rejette la demande de la CNIL tenant à la substitution du fondement initialement choisi pour sanctionner la société Google Inc. par le raisonnement de la CJUE reconnaissant aux autorités de contrôle nationales le pouvoir d’ordonner un déréférencement sur l’ensemble des versions du moteur de recherche.  Pourquoi ? Parce que le Conseil d’État observe qu’en l’état actuel du droit, le législateur français n’a pas adopté de dispositions législatives permettant d’ordonner un déréférencement hors de l’Union européenne. Il estime, ainsi, qu’un fondement jurisprudentiel n’est pas valable pour réaliser cette substitution.  En outre, quand bien même ce fondement le serait, le Conseil d’État souligne que la faculté d’exiger un déréférencement mondial ne peut être ouverte qu’au terme d’une balance des intérêts, chose que la formation restreinte de la CNIL n’a pas effectué.

Eu égard à ce qui précède, le Conseil d’État juge qu’un déférencement mondial ne peut être ordonné par la CNIL et que, par voie de conséquence, la société Google Inc. est fondée à demander l’annulation de la délibération attaquée.

3/ Le résultat incertain d’une future mise en balance des intérêts

Si le raisonnement entrepris par le Conseil d’État semble tout à fait cohérent au regard du droit européen et eu égard à l’absence de mise en balance des intérêts, on peut, toutefois, regretter qu’il ne se soit pas prononcé sur les mesures de géo-blocages mises en œuvre par Google Inc. à l’issue de sa mise en demeure. En effet, ces dernières semblaient permettre de bloquer l’accès aux liens litigieux pour les adresses IP réputées localisées dans l’Etat de résidence du bénéficiaire du droit au déréférencement à la suite d’une recherche effectuée à partir de son nom et ce, indépendamment de la déclinaison du moteur de recherche utilisée par l’internaute. Dès lors, il aurait été intéressant de voir si, à l’issue de la mise en balance des intérêts, ces mesures de géo-blocages auraient été considérées comme suffisantes pour faire droit aux arguments de Google Inc. et pour refuser de prononcer le déréférencement mondial.

En tout état de cause, il reste désormais à savoir comment cette mise en balance sera mise en œuvre par les différentes autorités nationales de protection des données personnelles. De son côté, dans sa délibération de 2016[10], la CNIL avait d’ores et déjà relevé que ces mesures n’étaient pas satisfaisantes en ce sens que l’information déréférencée demeurait consultable par tout internaute situé en dehors du territoire concerné par la mesure de filtrage et, d’autre part, qu’un contournement de cette mesure par les utilisateurs concernés restait possible (par exemple, en utilisant un VPN).

Droit du Partage continuera naturellement de suivre ces sujets pour vous.

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[1] Délibération n°SAN-2019-001 du 21 janvier 2019 Délibération de la formation restreinte n° SAN – 2019-001 du 21 janvier 2019 prononçant une sanction pécuniaire à l’encontre de la société GOOGLE LLC.

[2] Délibération de la formation restreinte n° 2016-054 du 10 mars 2016 prononçant une sanction pécuniaire à l’encontre de la société X.

[3] Décision n° 2015-047 du 21 mai 2015 mettant en demeure la société X.

[4] Aujourd’hui, « le droit à l’effacement » ou aussi dit « droit à l’oubli » est consigné à l’article 17 du Règlement sur la protection des données à caractère personnel (RGPD) et 40 de la loi informatique et libertés.

[5] CE, Section du contentieux, 10ème et 9ème chambres réunies ,19 juillet 2017, Google Inc., décision N°399922.

[6] CJUE (grande chambre), 24 septembre 2019, Google LLC contre Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), affaire C-507/17.

[7] L’erreur de droit peut résulter d’un détournement de procédure ou d’un défaut de base légale (par exemple, lorsque, comme en l’espèce, l’administration n’a pas fondé sa décision sur la bonne norme).

[8] CJUE (grande chambre), 24 septembre 2019, Google LLC contre Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), affaire C-507/17.

[9] Cette substitution se fait soit à la demande des parties soit de la propre initiative du juge (et dans cette seconde hypothèse, uniquement si les parties ont eu la possibilité de présenter des observations sur ce point).

[10] Délibération de la formation restreinte n° 2016-054 du 10 mars 2016 prononçant une sanction pécuniaire à l’encontre de la société X.

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Loi d’orientation des mobilités (LOM) : l’espoir ou le désespoir ?

Ça y est !

La loi d’orientation des mobilités (LOM) a été votée par l’Assemblée Nationale par 116 voix pour, 49 voix contre et 9 abstentions. Si le Conseil constitutionnel a rendu une décision de censure (voir la décision du Conseil Constitutionnel du 20 décembre 2019), l’essentiel semble fait : la grande loi sur les transports voulue par Emmanuel Macron a (enfin) vu le jour (voir la version publiée au JO le 26 décembre 2019).

Mais que ce fut long et compliqué … ! Et surtout, cette LOM tant attendue est-elle à la hauteur des attentes ?

Les pessimistes diront que les ambitions du texte ont diminué au fur et à mesure que les mois s’écoulaient (c’est dire à quel point le tout s’est réduit à peau de chagrin puisque les Assises de la Mobilité ont été lancée à l’automne 2017) et qu’une partie la loi est « vide » puisqu’il est renvoyé à des décrets, ordonnances et rapports (ces termes sont mentionnés à plus de 100 fois dans le texte). Les optimistes verront le début d’une nouvelle ère pour la mobilité et sauront tirer satisfaction des quelques avancées (par exemple, la consécration légale du « co-transportage de colis) ». Enfin, les réalistes retiendront l’importance du travail accompli pendant 2 années et la prise de conscience du grand public que la mobilité est un enjeu fondamental de notre société en cours de numérisation.

C’est l’occasion pour nous d’aborder les nouveautés et les regrets juridiques concernant les sujets que nous suivons.

Les nouveautés juridiques

Il nous semble que quelques éléments clés méritent d’être signalés :

le développement des règles relatives à l’ouverture des données de transport : sont imposés de nouveaux standards (notamment, en déclinant en droit français le règlement européen (UE) 2017/1926 du 31 mai 2017 relatif à la mise à disposition de services d’informations sur les déplacements multimodaux).

l’accompagnement des innovations dans le transport de marchandises : la loi consacre le « cotransportage de colis » (c’est-à-dire le déplacement de colis fondé sur le partage de frais) et prévoit qu’une ordonnance pourra définir les conditions d’exercice de l’activité des plateformes d’intermédiation numérique, notamment entre des clients et des entreprises réalisant du transport public routier de marchandises.

la nécessité d’expérimenter de nouvelles solutions dans le transport : le gouvernement peut prendre par voie d’ordonnance toute mesure à caractère expérimental visant à tester, dans des territoires peu denses, des solutions nouvelles de transport routier de personnes.

la mobilité autonome : indépendamment des enjeux technologiques (la principale question concernant leur maturité) et juridiques structurant (en particulier, la convention de Vienne de 1968 qui impose à tout conducteur d’avoir le contrôle de son véhicule), la LOM (en complément de la loi PACTE) initie une nouvelle étape règlementaire en ouvrant la voie à une adaptation de la législation pour la circulation sur la voie publique de véhicules terrestres à moteur dont les fonctions de conduite sont déléguées, partiellement ou totalement, à un système de conduite automatisé.

le free-floating : la loi complète le Code des transports en prévoyant un régime juridique pour les opérateurs de services de partage de véhicules, cycles et engins de déplacement de personnes ou de marchandises, mis à disposition sur la voie publie en libre-service sans station d’attache (en particulier, la faculté pour l’autorité compétente d’exiger que soit délivré un « titre » à l’opérateur pour exercer son activité). Cette nouveauté accompagne l’explosion des modèles de free-floating et il nous semble impératif que les textes les régissant ne soient pas étouffants et/ou appliqués avec trop de complexité (ce qui pourrait nuire à l’innovation) tout en gérant les enjeux de partage de l’espace public (lesquels ont une dimension importante de droit public).

Les regrets juridiques

En tant que juristes et enthousiastes des innovations portées par l’économie numérique, en particulier dans les transports, on peut regretter :

l’abandon des ambitions sur le co-voiturage : alors que des précisions sur le « partage des frais » (notamment, les éléments qui peuvent être pris en compte ou non) étaient attendues, la LOM ne précise rien mais des textes règlementaires pourraient le faire. Il s’agit d’une occasion manquée d’élargir la notion, de réduire l’incertitude juridique à laquelle certaines sociétés font face et de sécuriser des modèles innovants (par exemple, le covoiturage courte distance).

la quasi-disparition du plan vélo : le « plan vélo » était initialement ambitieux et radical, notamment pour renforcer les usages. Après de nombreux mois de travail législatif, les avancées sont limitées, ce qui est regrettable (si le marquage des vélos va devenir obligatoire, les incitations financières et fiscales sont limitées alors qu’elles permettent d’orienter les comportements).

les débats caricaturaux sur les « chartes » pour indépendants : on ne cesse d’opposer les indépendants et les salariés, comme s’il s’agissait de mondes irréconciliables et qu’il faudrait nécessairement que l’un prenne le dessus sur l’autre. L’article de la loi concernant les chartes a fait l’objet de nombreux débats et de vives critiques, ce qui occulte l’élément central : la construction d’un système de protection sociale compatible avec le marché du travail actuel (notamment, les carrières discontinues, le cumul de statuts ou des aspirations à plus de libertés dans son activité). C’est d’autant plus regrettable que le Conseil Constitutionnel a censuré une partie de cet article, vidant ainsi ce mécanisme d’une partie importante de sa substance.

l’abandon du transport occasionnel par les particuliers : dans une des versions de travail, il avait été envisagé, pour les territoires à faible densité de population et en cas d’inexistence ou insuffisance de l’offre de transports publics, d’autoriser des conducteurs « amateurs » à transporter des passagers contre rémunération (avec un plafond annuel de gains). Alors qu’il s’agissait d’une innovation juridique pour certains territoires (lorsqu’il s’agit de mobilité, on a tendance à penser qu’il s’agit exclusivement de Paris… or, les territoires ruraux et péri-urbains ont parfois plus de besoins de transports que les métropoles), cette piste a été abandonnée.

La suite ?

Il faut apprécier les suites qui seront données. Les textes d’application prévus sont nombreux (en particulier, les ordonnances et les décrets), de sorte qu’on ne pourra mesurer l’ambition réelle pour les nouvelles mobilités et l’innovation dans le transport qu’à l’aune de la réalité juridique effective. L’histoire de la LOM n’est donc pas terminée.

Droit du Partage vous tiendra évidemment informer des évolutions à venir.

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L’action de groupe : arme efficace contre l’utilisation abusive des données personnelles ?

Les données à caractère personnel sont un sujet clé de la vie numérique et de l’économie digitale. A la suite d’un nombre non négligeable de scandales, leur protection a progressivement pris une dimension toute particulière.

On peut citer à titre d’exemple : le vol de données Uber ayant conduit la CNIL à infliger au géant américain une amende record de 50 millions d’euros ; ou encore l’affaire Cambridge Analytica, société de profilage politique, soupçonnée d’avoir compilé, au moyen d’un quizz de personnalité, les données personnelles de près de 87 millions d’utilisateurs Facebook.

Pour autant face à ces situations les moyens mis à disposition des individus pour assurer effectivement le contrôle et la protection de leurs données à caractère personnel paraissent insuffisants.

1. Quid de l’action de groupe en France ?

De manière générale, l’action de groupe se définit comme « une action judiciaire diligentée par un représentant d’un groupe, désigné par la loi, afin que ledit groupe, suite au dommage de masse causé par les manquements d’un professionnel, puisse obtenir une réparation judiciaire » [1]. En d’autres termes, elle permet à un titulaire, spécialement déterminé par la loi, d’agir afin d’obtenir réparation des préjudices subis par un groupe de personnes aux torts d’un seul et même protagoniste.

A l’aube des années 1980, en l’absence d’instrument juridique en mesure de prendre acte et de sanctionner « les litiges de masse », la doctrine française commence à réfléchir à l’introduction de l’action de groupe en droit français[2]. Cependant, fort des dissensions et alternances politiques, le gouvernement français a longtemps craint l’introduction d’un tel mécanisme[3].

L’action de groupe a finalement été consacrée pour la première fois par la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite « loi Hamon ». Elle a ensuite été étendue à diverses sphères du droit, notamment en droit de la santé[4], en droit de l’environnement[5], en matière de discrimination au travail[6], ainsi qu’en matière de données personnelles.

2. Quel est le cadre juridique français de l’action de groupe en matière de données personnelles ?

  • De la demande de cessation à l’action en réparation

L’action de groupe en matière de données personnelles a été introduite en France par la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. Celle-ci a introduit dans la loi du 6 janvier 1978 dite « Informatique et Libertés » (LIL)[7], l’article 43 ter (désormais abrogé en raison d’une version plus récente du texte). L’objectif était de permettre aux personnes victimes de manquements aux obligations de protection des données personnelles, d’en demander la cessation devant la juridiction compétente.

Après la réforme législative du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles, le champ de cette action de groupe a été élargie. Cette réforme insère dans la LIL un nouvel article 37[8], permettant d’une part de demander la cessation du manquement, et / ou d’autre part « d’engager la responsabilité de la personne ayant causé le dommage afin d’obtenir réparation des préjudices matériels ou moraux subis ».

Conformément à l’article 37 de la LIL, lu en combinaison avec les articles 60 et suivants de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, cette action de groupe peut être respectivement portée devant la juridiction civile[9] ou la juridiction administrative[10] compétente. Le demandeur à l’action doit en informer la Cnil, afin que celle-ci puisse présenter des observations.

Il s’agit là de modifications opérées sous l’impulsion du droit de l’Union européenne et notamment du Règlement général sur la protection des données à caractère personnel du 27 avril 2016 dit « RGPD ». L’action de groupe est effectivement prévue par le RGPD, qui permet aux personnes physiques ayant subi un dommage matériel ou moral du fait de la violation d’obligations posées par le Règlement, d’obtenir réparation du préjudice subi.

  • Les conditions de l’action

Le fait générateur de l’action de groupe en matière de données personnelles est restreint : l’action ne peut être exercée que « lorsque plusieurs personnes physiques placées dans une situation similaire subissent un dommage ayant pour cause commune un manquement de même nature » aux dispositions du RGPD ou à celles de la loi du 20 juin 2018 relative aux données personnelles (LIL, art. 37 II).

Par ailleurs, en vertu de l’article 37 IV. de la LIL, seuls peuvent exercer une telle action :

  • « Les associations régulièrement déclarées depuis cinq ans au moins ayant dans leur objet statutaire la protection de la vie privée ou la protection des données à caractère personnel» ;
  • « Les associations de défense des consommateurs représentatives au niveau national et agréées, lorsque le traitement de données à caractère personnel affecte des consommateurs» ;
  • « Les organisations syndicales de salariés ou de fonctionnaires représentatives ou les syndicats représentatifs de magistrats de l’ordre judiciaire, lorsque le traitement affecte les intérêts des personnes que les statuts de ces organisations les chargent de défendre».

Il est important de noter, que l’action de groupe doit être précédée d’une mise en demeure en vue de faire cesser le manquement ou de réparer le(s) préjudice(s) subi(s). Ce n’est qu’à l’issue de l’expiration d’un délai de 4 mois, à compter de la réception de la mise en demeure, que l’action de groupe pourra être introduite devant la juridiction compétente[11].

3. Quelles sont les actions en cours ?

Alors même que les scandales portant sur l’utilisation massive et abusive des données à caractère personnel se multiplient, la France compte à ce jour un nombre restreint d’actions de groupe :

  • Internet Society France (ISOC France) c/ Facebook :

En novembre 2018, l’ONG annonçait vouloir engager la première action de groupe indemnitaire en matière de données personnelles[12].

Par une lettre de mise en demeure, l’ISOC France a alerté la plateforme de sept « atteintes récurrentes aux libertés et à la vie privée » de ses utilisateurs. L’internet Society reproche notamment au géant américain de collecter des données sensibles (l’orientation sexuelle, les opinions politiques et les croyances religieuses), de ne pas demander le consentement libre et éclairé des utilisateurs Facebook et WhatsApp ou encore l’absence de sécurisation efficace des données personnelles[13].

En l’absence de réponse, l’ONG a décidé de porter l’affaire devant les tribunaux français. Selon l’Agence France Presse (AFP), l’ISOC France a déclaré vouloir introduire une assignation devant le tribunal de grande instance de Paris au cours du mois de septembre 2019[14].

  • UFC-Que choisir c/ Google:

Le 26 juin dernier, UFC-Que choisir a introduit une action de groupe contre le géant de l’internet, pour collecte et exploitation de données utilisateurs contraires aux obligations posées par le RGPD.

Cette action concerne principalement les utilisateurs de produits Android. L’association pointe notamment du doigt le processus de création de compte : « nous considérons que le consentement des utilisateurs n’est pas obtenu de façon légale, notamment au travers de cases pré-cochées camouflées ». Selon elle, les utilisateurs n’auraient pas conscience de « l’intrusion massive » dans leur vie privée notamment au travers des données de géolocalisation et à fortiori de la finalité de cette collecte.

L’organisme a assigné Facebook devant le Tribunal de grande instance de Paris et est en attente d’une décision sur la responsabilité de Google dans le cadre de la collecte et du traitement des données personnelles de ses utilisateurs.

Droit du Partage continuera naturellement à suivre ce sujet pour vous.

[1] S. GUINCHARD, CHAINAIS et FERRAND, Procédure civile. Droit interne et droit de l’Union européenne, 2014, coll. Précis, Dalloz, n° 404

[2] Commission de refonte du droit de la consommation, sous la direction de J. CALAIS-AULOY, 1985

[3] Action de groupe – Sonia BEN HADJ YAHIA – Juin 2015, n°2 et suivants

[4] Article 184 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé

[5] Article L142-3-1 du code de l’environnement.

[6] Articles L.1134-6 à L.1134-10 du Code du travail.

[7] La loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle est venu modifier la loi Libertés et Informatiques.

[8] Article 37 de la  LOI n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

[9] Article 60 de la Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.

[10] Article 85 de la Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.

[11] Article 64 de la Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.

[12] Communiqué de l’ISOC France en date du 9 novembre 2018.

[13] Lettre recommandée avec accusé de réception adressée à Facebook France, Facebook Ireland LTD, Facebook Inc.

[14] Article de presse en date du 26 mars 2019 rédigé par l’AFP et publié sur CB News.

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Référencement naturel : la guerre des mots clés sur les moteurs de recherches

Moteur de recherches, référencement et mots clés : voici des termes qui contribuent directement au succès d’une entreprise sur internet. Être facilement identifié en ligne et capter le trafic des internautes sont des enjeux clés pour toutes les entreprises qui ont une présence digitale. Par conséquent, l’optimisation de sa visibilité dans les pages de recherche nécessite d’optimiser les moteurs de recherche (search engine optimization ou SEO) mais également de construire des stratégies d’acquisition de trafic avec des mots clés (par exemple, grâce aux « AdWords » de Google).

Pour maximiser sa présence dans les pages de résultats, il est possible de faire l’acquisition de mots clés identifiants un concurrent et/ou ses services. Cette pratique a vu naître un contentieux spécifique qui a 2 facettes principales.

1/ La situation du concurrent : les décisions de justice rendues ces dernières années ont fait émerger le principe selon lequel le fait de choisir comme mot clé la marque d’un concurrent ne constitue pas ipso facto un acte de contrefaçon. En revanche, cette situation peut devenir critiquable lorsqu’il existe une atteinte à la fonction de marque pour l’identification du produit ou service (en particulier, s’il y a ou peut y avoir une confusion entre les produits ou services). Par ailleurs, cette action en contrefaçon peut être accompagnée de demandes fondées sur la concurrence déloyale, laquelle pourrait être caractérisée par le parasitisme ou le détournement de clientèle. Dans ce cas, le demandeur devra établir un comportement fautif attentatoire à une concurrence paisible, ce qui impose de démontrer des actes supplémentaires à l’acquisition de mots clés permettant de caractériser la faute (par exemple, la rédaction de libellés dans la page de résultats favorisant la confusion ou de nature à induire l’internaute en erreur).

Dans un récent arrêt du 5 mars 2019 (voir ici la décision complète), la Cour d’appel de Paris a condamné une société (Rue du Commerce) pour contrefaçon de marque (Carré Blanc) mais pas pour concurrence déloyale, ce qui apporte des précisions intéressantes.

En ce qui concerne la contrefaçon, il a été retenu que le mot clé « Carré Blanc » était utilisé dans les annonces snippet, les URL et la page du site pour préciser le type d’article recherché (par exemple, un peignoir ou une couette). Les juges d’appel retiennent que « cette insertion répétée permet d’améliorer le référencement du site en cas de nouvelle recherche par un internaute sur les mêmes mots clés et découle d’un choix de la société Rue du Commerce dans l’organisation de son site et notamment dans le lien vers la page d’index et dans la rédaction de l’extrait, même si le site n’a pas de contrôle sur les mots-clés définis par l’internaute » et que « cette répétition du signe carré blanc dans le titre, dans l’adresse URL et dans l’extrait à deux reprises porte atteinte à la fonction d’origine de la marque, en ce qu’elle est de nature, s’agissant d’un référencement naturel, à laisser l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif penser que des produits de marque carré blanc lui seront proposés sur ce site ».

En ce qui concerne la concurrence déloyale, il a été jugé que « la mise en place de techniques de référencement afin de promouvoir les pages internet du site de la société Rue du Commerce ayant pour titre carré blanc et d’améliorer son classement dans les meilleurs résultats du moteur de recherche google relève d’une démarche commerciale afin de mettre en avant ces produits et de démarcher les clients, et ne peut caractériser un comportement déloyal que s’il a pour effet de détourner effectivement le consommateur de la société concurrente de Rue du Commerce, qui en subirait une perte de son chiffre d’affaires ». En l’occurrence, les juges ont relevé que, malgré la stratégie de Rue du Commerce visant à améliorer son référencement naturel, ce site n’est pas systématiquement placé en premier et que la société Carré Blanc ne démontrait pas de baisse de visites ou de chiffre d’affaires.

Ces éléments permettent d’affiner la compréhension des éléments retenus par les juridictions et de renforcer la construction de stratégies de référencement naturel sur les moteurs de recherche.

2/ La situation du moteur de recherche : en plus de l’action contre le concurrent, l’entreprise dont la marque est utilisée comme mot-clé pourrait s’interroger sur le rôle et l’étendue de la responsabilité des moteurs de recherche puisqu’il s’agit de l’outil technologique qui référence les contenus. En effet, lorsque leurs clients sélectionnent des mots clés et choisissent, à cette occasion des marques et/ou des éléments distinctifs de concurrents, la question de la responsabilité de cet intermédiaire numérique peut donc légitimement se poser.

Dans la jurisprudence récente, les moteurs de recherche (au premier rang desquels Google) ont été visé par plusieurs actions (par exemple, les procédures initiées par Louis Vuitton). La principale critique était de permettre à des annonceurs d’acheter des mots-clés correspondant aux signes distinctifs du concurrent. Parmi les décisions importantes, on peut faire référence à l’arrêt précité de la Cour de justice qui affirme notamment le principe selon lequel il est possible d’agir en responsabilité si le prestataire a eu connaissance du caractère illicite des activités.

Derrière ce cas spécifique, il s’agit en réalité de la question de la responsabilité de l’intermédiaire en ligne qui se trouve à la frontière des qualifications d’ « éditeur » et d’ « hébergeur ». Issus de la directive sur le commerce électronique (2000/31/CE) et de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), les débats sur la qualification juridique de certains acteurs (par exemple, les moteurs de recherche ou les plateformes) forment une jurisprudence importante. Un des éléments décisif pour caractériser l’éditeur est le rôle actif sur le contenu, ce qui dépend des faits, du fonctionnement opérationnel de la société mais également de la fonctionnalité en question (les acteurs digitaux sont complexes et peuvent être un « éditeur » pour certains aspects et un « hébergeur » pour d’autres).

Le contentieux met en lumière un enjeu simple : le droit des acteurs de l’internet, constitué au début des années 2000, ne permet plus d’appréhender la diversité des fonctionnements actuels. Il en découle alors une insécurité juridique pour les opérateurs économiques mais également pour les internautes, de sorte qu’il serait bienvenu que l’Union Européenne s’attèle à revoir ce régime juridique. Nous comprenons que la nouvelle Commission Européenne pourrait mettre à l’ordre du jour une revue de la directive sur le commerce électronique, ce qui ouvrirait de nouvelles perspectives juridiques pour consolider le cadre applicable aux intermédiaires en ligne.

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Charte des acteurs e-commerce : vers des relations plus équilibrées entre les plateformes et les entreprises utilisatrices ?

Tout comme le futur règlement européen Platform to business (voir notre analyse de la version du texte ayant fait l’objet d’un accord politique), la « Charte des acteurs du e-commerce » du 26 mars 2019 vise à promouvoir des relations équilibrées, loyales et transparentes entre les opérateurs de plateforme en lignes (au sens de l’article L. 111-7 du Code de la consommation) et les personnes physiques ou morales contractant les services de ces plateformes ou places de marché à titre professionnel.

Cette charte s’inscrit dans la volonté de favoriser la croissance des TPE et PME françaises dont le développement dépend largement des plateformes numériques qui s’imposent comme de véritables « gardiens de l’accès aux marchés et aux consommateurs » (Commission Européenne, COM(2018) 238 final, 26 avril 2018). En effet, selon le communiqué de presse de la Commission européenne du 14 février 2019, ce sont plus de 42% des PME de l’Union européenne qui déclarent avoir recours à des places de marché en ligne pour vendre leurs produits ou services.

La « Charte des acteurs du e-commerce » vise principalement trois objectifs : (1) la formalisation des engagements mutuels entre les parties, (2) la garantie d’un échange « ouvert, fiable, et individualisé » à tous les stades de la relation commerciale et (3) la lutte contre la contrefaçon.

1/ La formalisation des engagements mutuels entre les parties : dans l’optique de préserver un climat de confiance entre elles et les entreprises utilisatrices, essentiel à toute relation commerciale, les plateformes et places de marché s’engagent dans le cadre de cette charte à sécuriser leurs relations en les formalisant contractuellement. À cet égard, il leur est demandé de rédiger les documents contractuels « de façon claire et compréhensible», de rendre les conditions d’utilisation facilement accessibles en ligne et d’inclure dans ces documents une mention indiquant la possibilité offerte aux entreprises utilisatrices de recourir à la médiation.

2/ La garantie d’un échange « ouvert, fiable, individualisé »  implique notamment de :

  • mettre en place un dispositif dédié au dialogue qui devra être porté à la connaissance des utilisateurs lors de leur engagement sur la plateforme ou place de marché et devra être accessible tout au long de la relation commerciale ;
  • expliquer les raisons d’un déréférencement (notion entendue comme suspension ou suppression, temporaire ou définitive, d’offres mises en ligne par les entreprises utilisatrices sur les plateformes et places de marché en ligne et/ou de leur compte) et permettre de contester cette décision ;
  • fournir aux entreprises utilisatrices qui en font la demande, des informations sur les principes applicables au classement des produits voire, leur livrer des recommandations afin que leurs produits progressent dans le classement commercial ;
  • favoriser le recours à la médiation notamment en fournissant un contact privilégié vers le Médiateur des entreprises (l’annexe 1 de la charte détaille le mécanisme et l’annexe 2 prévoit une clause type) ;
  • faire de l’intérêt du client final un objectif partagé, ce qui implique que les entreprises utilisatrices s’engagent à mettre en œuvre des mesures concrètes pour satisfaire le client final (par exemple, en mettant en ligne des offres conformes aux règlementations applicables en matière de vente à distance).

3/ La lutte contre la contrefaçon : tandis que les entreprises utilisatrices s’engagent à ne pas proposer sciemment des produits contrefaits, les plateformes et places de marché s’engagent elles à prévoir un dispositif de signalement des contrefaçons et de mettre en œuvre les actions correctives nécessaires le cas échéant.

Plus symbolique que juridiquement contraignante, cette charte participe de la construction et du renforcement des obligations pesant sur les opérateurs de plateforme en ligne (résultant du cadre juridique posé par la loi pour une République numérique et de ses décrets d’application). Il est intéressant de noter que parmi les grands acteurs du e-commerce ayant décidés, dans une démarche volontaire, de signer la charte (on compte notamment Leboncoin, Ebay, ManoMano ou Rakuten), certaines grandes markets places sont absentes (par exemple, Amazon).

Du reste, un comité de suivi chargé d’assurer la diffusion de la charte sera mis en place (la première réunion aura lieu du 2ème semestre 2019) et une liste publique des signataires sera régulièrement mise à jour.

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Platform to Business (P2B) : le règlement est bientôt finalisé

Nous évoquions le règlement européen dit Platform To Business (« P2B ») comme un texte fondamental de la régulation des plateformes (voir nos articles sur la rentrée juridique 2019 et sur le projet de règlement P2B d’avril 2018) : un grand pas vient d’être fait vers une finalisation du texte.

Ce règlement ambitionne de faire de l’Union Européenne un environnement économique transparent et prévisible pour les entreprises et les « business users » qui utilisent des services d’intermédiation en ligne (en particulier, des plateformes, des places de marchés (market place) ou des moteurs de recherches). Cette règlementation aspire à trouver un équilibre entre stimulation de l’innovation et protection des intérêts des utilisateurs de ces services afin que chacun puisse bénéficier des opportunités créées par la révolution numérique.

Le 13 février 2019, un accord politique a été trouvé entre le Parlement Européen, le Conseil de l’Union Européenne et la Commission Européenne sur un texte de compromis du règlement P2B (voir le texte complet ici). Ce texte vient d’être approuvé (le 20 février) par le Comité des représentants permanents (Coreper) et il a été soumis au vote de la Commission « Marché Intérieur » (le 21 février). Le texte devrait ensuite être adopté par le Parlement avant d’entrer en vigueur dans un délai de 12 mois à compter de sa publication au journal officiel de l’Union européenne.

Du texte de compromis, nous retenons les idées clés suivantes :

  • Plus de loyauté : l’accord prévoit notamment (i) d’encadrer plus précisément les décisions de restreindre, suspendre ou déréférencer des personnes, (ii) une accessibilité et intelligibilité renforcée de leurs CGU qui ne pourront être modifiées qu’après notification des entreprises utilisatrices au moins 15 jours à l’avance et (iii) une obligation de clarté concernant les termes de leurs relations contractuelles notamment concernant les clauses rétroactives, le droit de résiliation des contrats et l’accès aux données après expiration de ces derniers.
  • Plus de transparence : les acteurs soumis au règlement devront notamment (i) indiquer les principaux paramètres de classement des biens et services qu’ils proposent afin de permettre aux vendeurs d’optimiser leur visibilité et d’empêcher toute manipulation du système de classement (par exemple, les plateformes seront tenues d’informer les entreprises utilisatrices de l’existence d’accords contractuels ou de paiements de commissions supplémentaires justifiant les traitements différenciés) – ces règles font écho au cadre juridique français (voir notre article sur le cadre juridique français issue de la loi pour une République numérique) – et (ii) communiquer de manière exhaustive tous les avantages que les plateformes, agissant simultanément en qualité de place de marché et de vendeur, accordent à leurs propres produits et services par rapport à d’autres.
  • Plus de voies de règlements des litiges : le texte prévoit, entre autres, l’obligation pour les acteurs concernés de (i) mettre en place un système interne gratuit de traitement des réclamations (une exemption est prévue pour les plus petites plateformes) et de (ii) fournir aux entreprises davantage d’options de résolution extrajudiciaire des litiges notamment par l’intermédiaire de médiateurs spécialisés.
  • Plus de contrôle : il est prévu que (i) les associations professionnelles puissent intenter une action en justice pour obtenir la cessation de tout manquement aux règles et que (ii) les États membres puissent désigner des autorités publiques dotées de pouvoirs répressifs auxquelles les entreprises utilisatrices de plateformes pourront faire appel.

Le règlement P2B est sans aucun doute une nouveauté capitale pour le secteur du numérique et les intermédiaires qui opère sur ce marché. Étant donné son importance, nous écrirons plusieurs articles d’analyse lorsque le règlement sera publié au journal officiel.

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Loi d’orientation des mobilités (LOM) : ce que l’avenir nous réserve

Le projet de loi d’orientation sur les mobilités (LOM) a été soumis au Conseil des Ministres du 26 novembre 2018 et vise à « réforme[r] en profondeur le cadre général des politiques de mobilités pour offrir […] des solutions de déplacement à la hauteur de leurs attentes et des enjeux d’aujourd’hui ». Nous proposons de tracer les grandes idées structurantes de la LOM qui vont impacter le numérique et les plateformes afin d’anticiper les évolutions du cadre juridique (retrouvez notre précédent article détaillant une version de travail du texte).

Clarifier la notion de partage de frais

L’article 17 prévoit qu’un décret précisera cette notion, très souvent débattue et parfois incomprise, en droit des transports (notamment en précisant les modalités du partage de frais entre conducteurs et passagers). Il sera intéressant de voir si les éléments de définition utilisés dans l’instruction fiscale du 30 août 2016 seront repris.

Nous espérons une définition large permettant d’englober le maximum de modèles économiques mais regrettons que cette notion soit, à ce stade, limitée aux voitures (nous militons pour une notion de « partage de frais » pour tout moyen de transport afin de sécuriser les modèles économiques innovants de la mobilité, par exemple les avions avec le coavionnage – voir un de nos derniers articles sur le sujet).

Ouvrir les données de mobilité

Dans le prolongement du mouvement initié par la loi Macron (lequel a été limité car le décret d’application n’a jamais été publié) et le règlement européen (UE) 2017/1926 du 31 mai 2017 relatif à la mise à disposition de services d’informations sur les déplacements multimodaux, la LOM (articles 9 et s.) devrait imposer de nouveaux standards en matière d’ouverture des données de transport. L’accès aux données conditionne notre capacité future à créer les modèles de la mobilité de demain.

Appréhender les innovations dans le transport de marchandises

Depuis l’explosion du secteur numérique, le transport de marchandises était le parent pauvre des réformes législatives et la LOM pourrait consacrer légalement ces modèles économiques innovants.

1/ Le cotransportage : l’article 16 ter de l’avant-projet de loi envisageait de créer un régime juridique pour le « cotransportage de colis » qui serait défini comme l’utilisation en commun, à titre privé, d’une voiture particulière, telle que définie par voie règlementaire, effectuée à titre non onéreux excepté le partage de frais, pour transporter des marchandises dans le cadre d’un déplacement qu’un conducteur réalise pour son propre compte (l’étude d’impact précise qu’un arrêté fixera le montant maximum des contributions pouvant être reçues au titre du cotransportage). La mise en relation à cette fin du conducteur avec la/les personne(s) qui lui confie(nt) le colis peut être effectuée à titre onéreux sans entrer dans le champ du commissionnaire de transports. Cependant, cet article n’est pas retenu dans la version de la LOM soumise au Conseil des Ministres (voir une précédente analyse de Droit du Partage).

2/ L’évolution de la définition du commissionnaire de transport : face à l’émergence des plateformes numérique effectuant une mise entre des donneurs d’ordre et des transporteurs pour la réalisation d’opérations de transport, la LOM envisage de clarifier le cadre juridique applicable à ces acteurs. Pour ce faire, la LOM envisage d’habiliter le gouvernement « à prendre par voie d’ordonnance toutes mesures relevant du domaine de la loi afin de définir les conditions d’exercice de l’activité des plateformes d’intermédiation numérique entre clients détenteurs de fret et entreprises de transport public routier de marchandises » (article 17). L’ordonnance, pouvant être adoptée dans un délai de douze mois à compter de la publication de la LOM, pourrait clarifier le statut juridique de ces plateformes de mise en relation, assurer la sécurité juridique des échanges et clarifier les règles relatives aux données.

Consacrer la mobilité autonome

Après la publication d’un décret le 28 mars 2018 concernant l’autorisation d’expérimentation de véhicules autonomes sur la voie publique, la LOM (articles 12 et 13) envisage d’autoriser le gouvernement à fixer, par voie d’ordonnances, un cadre juridique temporaire qui encadre le développement des véhicules autonomes, notamment pour « permettre la circulation sur la voie publique de véhicules terrestres à moteur dont les fonctions de conduite sont, dans un domaine d’emploi pré-défini, déléguées à un système de conduite automatisé, et de définir le régime de responsabilité applicable ».

Par ailleurs, la France militerait pour l’adoption d’un cadre juridique européen qui permettrait de construire cette filière industrielle au niveau de l’Union Européenne. Il nous semble impératif que l’Union prenne ses responsabilités en fixant les règles transnationales adéquates de nature à permettre aux entreprises européennes de rivaliser dans la compétition mondiale.

Encadrer le free-floating

La Ministre des Transports (Élisabeth Borne) avait annoncé lors d’une séance de questions au gouvernement qu’un cadre juridique pour ce type de services sera proposé, tout comme un nouveau statut juridique dans le Code de la route pour les trottinettes à assistance électrique.

La LOM (article 18) envisage que les autorités organisatrices de mobilité  (notamment les communes ou les syndicats mixtes de transport) puissent avoir la possibilité de soumettre les « services de partage de véhicules et d’engins » à des « prescriptions particulières » concernant (i) les informations que l’opérateur doit transmettre à l’autorité, (ii) les mesures devant être prises par l’opérateur afin de s’assurer du respect des règles de stationnement et de circulation en vigueur et (iii) les mesures que doit prendre l’opérateur pour assurer le retrait des engins et véhicules hors d’usage. En cas de non-respect des prescriptions fixées, une sanction maximale de 300.000 euros pourrait être prononcée à l’encontre de l’opérateur.

Augmenter la protection des travailleurs indépendants

La LOM (article 20) suggère de compléter le régime de responsabilité sociale des plateformes de mise en relation (articles L. 7342-1 et suivants du Code du travail). La disposition précise entre autres que la plateforme « peut établir une charte déterminant les conditions et modalités d’exercice de sa responsabilité sociale, définissant ses droits et obligations ainsi que ceux des travailleurs avec lesquels elle est en relation ».

Cette charte, initialement proposée dans la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, vise à augmenter la protection des travailleurs indépendants trouvant des clients grâce aux plateformes (en particulier, dans les secteurs du transport de personnes et de la livraison) et à apporter de la sécurité juridique à ces acteurs numériques (notre analyse sur le sujet).

Favoriser les expérimentations des nouvelles mobilités

Plus généralement, adoptant une démarche innovante et visionnaire, l’article 14 de la LOM envisage d’autoriser le gouvernement à prendre, par ordonnance, dans un délai de 2 ans à compter de la promulgation de la LOM, « toute mesure à caractère expérimental relevant normalement du domaine de la loi […] visant à faciliter les expérimentations d’innovations de mobilités ». L’objectif affiché est de permettre de réaliser des tests grâce à des ordonnances, ce qui revient à accorder de la flexibilité aux entrepreneurs avec une certaine protection juridique.

À suivre

La LOM sera examinée au Sénat à compter du mois de février 2019 et donnera sans aucun doute lieu à de nombreux débats car elle concentre beaucoup d’espoirs pour l’avenir de la mobilité. Le texte est ambitieux et pourrait déboucher sur des progrès majeurs pour les modèles innovants du secteur. Nous espérons que la LOM permettra de favoriser l’innovation, sécuriser les modèles économiques et aider les utilisateurs à bénéficier de solutions de mobilité performantes.

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Loi d’orientation sur les mobilités (LOM) : ce que nous réserve ce projet de loi

Le projet de loi d’orientation sur les mobilités (LOM) devrait être rendu public prochainement et nous ne manquerons pas de revenir en détails sur celui-ci. Dans cette attente, nous proposons de de tracer les grandes idées structurantes de la LOM qui vont impacter le numérique et les plateformes afin d’anticiper les évolutions du cadre juridique.

Autoriser le transport occasionnel rémunéré effectué par des particuliers

Alors que les juges ont lourdement sanctionné les modèles de « UberPop » et « Heetch » (voir un de nos articles sur le sujet) pour avoir permis à des particuliers d’en transporter d’autres moyennant des sommes excédant le « partage de frais » (à notre connaissance, les affaires sont actuellement examinées en appel), le législateur envisage aujourd’hui d’autoriser des conducteurs « amateurs » à transporter des passagers contre rémunération.

Cette mesure pourrait être applicable pour les territoires à faible densité de population et en cas d’inexistence ou insuffisance de l’offre de transports publics. De plus, pour fixer cette nouvelle possibilité dans de strictes limites, le législateur envisagerait de soumettre cette possibilité à une autorisation individuelle et à un plafond annuel de gains.

Cette innovation juridique est intéressante puisqu’elle permettrait de créer de nouveaux réseaux de transport et de renforcer le maillage territorial grâce aux particuliers non professionnels. Nous saluons cette initiative ambitieuse et espérons que les conditions d’application ne seront pas trop restrictives pour ne pas priver cette mesure de toute portée.

Promouvoir la mobilité partagée

Le gouvernement envisage de mettre la mobilité partagée (en particulier, le co-voiturage et l’autopartage) au cœur de la LOM. Plus particulièrement, deux sujets ont retenu notre attention :

la clarification de la notion de « partage de frais » : un décret pourrait préciser cette notion, très souvent débattue et parfois incomprise, en droit des transports. Il serait intéressant de voir si les éléments de définition au sens du droit fiscal (voir notre article sur l’instruction du 30 août 2016 concernant la co-consommation) sont repris. Nous espérons une définition plus large permettant d’englober plus de modèles économiques mais regrettons que cette notion soit limitée aux voitures (nous militons pour une notion de « partage de frais » pour les personnes et les marchandises ainsi que pour tout moyen de transport afin de sécuriser les modèles économiques innovants de la mobilité).

l’ouverture des données de covoiturage : dans le prolongement du mouvement initié par la loi Macron (lequel a été limité car le décret d’application n’a jamais été publié) et le règlement européen (UE) 2017/1926 du 31 mai 2017 relatif à la mise à disposition de services d’informations sur les déplacements multimodaux, la LOM devrait imposer de nouveaux standard en matière d’ouverture des données de transport. Nous espérons que cette ouverture sera la plus large possible car l’accès à ces informations conditionne notre capacité future pour créer les modèles de la mobilité de demain.

Appréhender les innovations dans le transport de marchandises

Depuis l’explosion du secteur numérique (voir par exemple, notre article sur les enjeux juridiques du transport de marchandises), le transport de marchandises est le parent pauvre des réformes législatives. Souvent jugé trop technique ou trop éloigné des préoccupations quotidiennes des français, il s’agit pourtant d’un domaine (le transport de marchandises et la logistique) où le besoin d’innovations est criant et où les opportunités sont nombreuses (le numérique permet de mobiliser des segments de marchés jusqu’à présent non rentables).

À la fin du mois d’avril 2018, le député Damien Pichereau a rendu un rapport intitulé « Pour une meilleure régulation et des usages maitrisés » concernant les véhicules utilitaires légers. Si ce rapport nous semble orienté vers une importante augmentation des contraintes sur les acteurs du numérique (on peut d’ailleurs être surpris qu’aucun « acteur numérique » n’ai été auditionné dans le cadre de la mission de ce député), il a au moins le mérite de positionner le sujet sur le devant de la scène.

Nous souhaitons que la LOM soit un véhicule législatif contenant des dispositions spécifiques sur le transport de marchandises afin de sécuriser les modèles innovants du secteur et que le tournant « conservateur » esquissé par le rapport Pichereau ne soit pas suivi (par exemple, il ne fait aucun sens juridique ou business d’imposer à toute plateforme d’être commissionnaire de transport car cela dépend de chaque modèle économique).

Consacrer la mobilité autonome

Les enjeux juridiques concernant les véhicules autonomes (qu’il s’agissent de ceux transportant des passagers ou manipulant des objets/marchandises) sont au cœur de cette mutation technologique majeure (voir un panorama détaillé et une interview à ce sujet sur « Tech and Co » de BFM Business).

Après la publication d’un décret le 28 mars 2018 concernant l’autorisation d’expérimentation de véhicules autonomes sur la voie publique, la LOM devrait créer un cadre règlementaire propre pour le véhicule autonome (y compris pour les véhicules de niveau 5, c’est-à-dire complètement autonomes). Un rapport détaillé a été publié en même temps qu’Anne-Marie Idrac fournissait les conclusions de sa mission consistant à définir une stratégie concernant la mobilité autonome. Les actions pratiques sont précisées et listées aux pages 81 et suivantes pour mettre en œuvre une politique ambitieuse dans ce domaine.

Par ailleurs, la France militerait pour l’adoption d’un cadre juridique européen qui permettrait de construire cette filière industrielle au niveau de l’Union Européenne. Il nous semble impératif que l’Union prenne ses responsabilités en fixant les règles transnationales adéquates de nature à permettre aux entreprises européennes de rivaliser dans la compétition mondiale.

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Quelle régulation pour les plateformes numériques ?

Ça y est, le(s) législateur(s) ont les yeux rivés sur les plateformes numériques et rien ne peut les en détourner !

Tout le monde veut prendre part à ce mouvement de régulation, de sorte que la Commission Européenne travaille à un cadre juridique spécifique (notamment avec la publication le 26 avril 2018 d’un projet de règlement intitulé « platform to business » qui contient d’importantes obligations de transparence et de loyauté à la charges des intermédiaires en ligne – article Droit du Partage à suivre) et que le gouvernement du président Macron planche à plusieurs mesures concrètes pour renforcer les obligations de ces acteurs (par exemple, Mounir Mahjoubi s’est prononcé en faveur d’un régime de responsabilité propre aux plateformes).

Mais n’est ce pas trop ?

Reprenons les choses d’un point de vue juridique pour bien comprendre :

1/ Les règles applicables aux acteurs du numérique trouvent principalement leur source dans la directive du 8 juin 2000 sur le commerce électronique (2000/31/CE) qui a été transposée en droit français par la loi pour la confiance en l’économie numérique du 21 juin 2004 (LCEN). De ces textes, interprétés par la jurisprudence, on peut tirer trois catégories (les fournisseurs d’accès à internet, les hébergeurs et les éditeurs) qui ont chacune leurs contraintes juridiques (notamment en matière de responsabilité).

2/ Le développement des plateformes numériques questionne depuis plusieurs années cette distinction traditionnelle qui parait aujourd’hui parfaitement inadaptée à ces nouveaux modèles économiques. Il en résulte donc une insécurité juridique problématique pour les entreprises qui exploitent ces plateformes car il est impossible de déterminer les contours exacts de leur responsabilité civile et pénale.

3/ En l’absence de nouvelles dispositions européennes/nationales, c’est au juge qu’il appartient de fixer les limites de la responsabilité et du rôle des plateformes. On assiste donc à la création d’un régime éclaté résultant de décisions de justice prises sur la base de situations factuelles contingentes à chaque dossier (les décisions ne fixent pas les mêmes règles selon qu’il s’agisse du Bon Coin, d’Alibaba ou d’Airbnb).

Quelles sont donc les options ?

La première, qui est la plus logique mais également la plus ambitieuse (sans compter que c’est également la plus longue à mettre en oeuvre…), est la révision de la directive sur le commerce électronique pour s’adapter aux mutations de l’économique numérique en fixant une nouvelle typologie des acteurs de l’internet. La seconde, qui est plus raisonnable mais qui pourrait être à l’origine de complications juridiques, consisterait pour la France à fixer des règles spécifiques aux plateformes numériques dans l’attente d’une harmonisation européenne. La troisième, qui selon nous n’est ni souhaitable ni réaliste, serait de ne rien faire et/ou d’imposer des contraintes excessives qui conduiraient à étouffer les initiatives business.

Il nous semble que c’est la seconde option qui est actuellement poursuivie puisqu’un régime juridique spécial aux plateformes numériques existe depuis 2015. Ces acteurs ont désormais des obligations qui leur sont propres avec la certification annuelle (qui va évoluer avec le projet de déclaration automatisée des revenus par les plateformes à l’administration fiscale), les obligations d’information et de transparence (imposées par la loi pour une République Numérique et ses décrets d’application) et la responsabilité sociale des plateformes vis-à-vis des travailleurs indépendants. Il manque cependant une règle qui puisse régir la responsabilité de ces acteurs et il nous semble important de prendre le temps de fixer une règle adaptée en tenant compte des différences entre les modèles économiques (il n’y a aucun sens à fixer les mêmes obligations à Uber, Blablacar et Le Bon Coin – nous avons proposé des critères juridiques de distinction pour fonder les grandes lignes d’un régime).

Ce sujet est fondamental car il permet de (i) sécuriser les entrepreneurs dans leurs entreprises et de (ii) permettre une adoption massive de ces nouveaux modèles en assurant la protection des utilisateurs (par exemple, concernant les conditions d’utilisation des services ou les données personnelles). Pour construire un secteur numérique fort, il faut que les règles soient adaptées aux modèles économiques et acceptées par les acteurs, faute de quoi l’innovation sera plus compliquée et les projets seront mis en oeuvre hors de France.

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Transmission automatique des revenus par les plateformes : ça approche !

Alors que l’année 2016 touchait à sa fin, l’article 24 de la loi de finances rectificative pour 2016 (publiée au Journal Officiel le 30 décembre) créait une nouvelle dimension au régime juridique des plateformes en ligne. Le nouvel article 1649 quater A bis du Code général des impôts prévoit que :

« Les opérateurs de plateforme en ligne au sens de l’article L. 111-7 du code de la consommation adressent à l’administration fiscale une déclaration mentionnant, pour chacun de leurs utilisateurs présumés redevables de l’impôt en France, les informations suivantes : 

1° Pour une personne physique, le nom, le prénom et la date de naissance de l’utilisateur

2° Pour une personne morale, la dénomination, l’adresse et le numéro SIREN de l’utilisateur

3° L’adresse électronique de l’utilisateur

4° Le statut de particulier ou de professionnel caractérisant l’utilisateur sur la plateforme

5° Le montant total des revenus bruts perçus par l’utilisateur au cours de l’année civile au titre de ses activités sur la plateforme en ligne, ou versés par l’intermédiaire de celle-ci

6° La catégorie à laquelle se rattachent les revenus bruts perçus. 

Cette déclaration est adressée annuellement par voie électronique, selon des modalités fixées par décret. Une copie de cette déclaration est adressée par voie électronique à l’utilisateur, pour les seules informations le concernant ».

Si cette obligation est applicable à compter du 1er janvier 2019 (c’est-à-dire que les premières déclarations auront lieu en 2020), cela ne signifie pas pour autant que le législateur se désintéresse de cette question puisque le gouvernement a évoqué, lors du Conseil des Ministres du 28 mars 2018, le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale, lequel contient des dispositions sur les plateformes numériques.

Tout d’abord, nous comprenons que le projet de loi modifie les dispositions du Code général des impôts en précisant les obligations déclaratives des plateformes numériques de mise en relation qui sont tenues de :

  • fournir, à l’occasion de chaque transaction, une information loyale, claire et transparente sur les obligations fiscales et sociales qui incombent aux personnes qui réalisent des transctions par leur intermédiaire.
  • mettre à disposition des utilisateurs un lien électronique vers les sites de l’administration leur permettant de se conformer à ces obligations.

Le non respect d’une de ces obligations est sanctionné par une amende de 50.000 euros.

Ensuite, nous comprenons que le projet de loi envisage de soumettre les plateformes à une obligation annuelle de transmission à chaque utilisateur, ayant effectué une transaction par leur intermédiaire, d’un document mentionnant le nombre et le montant total brut des transactions réalisées au cours de l’année civile. Un document récapitulant l’ensemble de ces informations pour l’ensemble des utilisateurs doit également être adressé par les plateformes, chaque année, à l’admnistration fiscale. Le non respect de ces obligations est sanctionné par une amende de 5% du montant des sommes non déclarées par la plateforme.

Ces nouvelles dispositions concernent une activité de services fournis à distance par voie électronique à la demande de particuliers et contre rémunération (c’est le modèle des plateformes numériques), ce qui implique une notification préalable à la Commission européenne en vertu de la directive 2015/1535 du 9 septembre 2015. Cependant, le Conseil d’Etat considère que cette notification peut être reportée à l’examen de l’arrêté d’application de ces nouvelles règles puisque les dispositions législatives ne sont pas par elles mêmes applicables en l’absence de ce texte d’application (voir l’avis n°394440 du 22 mars 2018).

Le mécanisme actuellement envisagé n’est que le développement et le renforcement de la substance des obligations prévues par l’article 242 bis du Code général des impôts, lequel devrait être amené à évoluer. La transition entre le système actuel (certification annuelle) et la déclaration automatisée des revenus devrait être progressive car la déclaration automatisée serait effectuée pour la première fois en 2020 par les plateformes (pour les revenus perçus en 2019).

Les plateformes numériques de mise en relation disposent donc de deux ans pour se mettre en conformité avec les règles applicables (article 242 bis du Code général des impôts) et de faire évoluer leurs procédures internes pour anticiper le système de déclaration automatisée des revenus (ce qui est plus contraignant et soumis à des sanctions plus lourdes).

L’examen de ce projet de loi pourrait également être l’occasion pour le Parlement d’introduire une simplification des règles fiscales/sociales applicables aux revenus occasionnels perçus par les particuliers par l’intermédiaire de plateformes numériques de mise en relation (voir notre commentaire de la proposition de loi de mars 2017).

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