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L’arrêt Airbnb : une étape historique dans la construction du droit des plateformes

Airbnb est un service de la société de l’information !

Droit du partage attendait cette décision avec impatience et nous considérons qu’il s’agit là d’une étape décisive dans la construction du droit des plateformes de mise en relation, puisque l’arrêt s’attaque au premier élément du raisonnement : la définition juridique de la plateforme.

Bien qu’aboutissant à un résultat différent, l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE ») le 19 décembre 2019 s’inscrit directement dans la ligne de jurisprudence des arrêts Uber de décembre 2017[1] et d’avril 2018[2] (voir notre analyse de l’arrêt de 2017).

La Cour fournit ainsi des clés de lecture très précises sur les conséquences juridiques de certaines fonctionnalités du service de mise en relation d’Airbnb, ce qui permet notamment de guider les plateformes dans la structuration de leur business model.

Pourquoi est-ce si important ? Droit du partage vous l’explique simplement.

L’affaire et les questions posées à la Cour de justice de l’Union européenne

L’affaire portée devant la CJUE a été rendue à la suite d’une demande de décision préjudicielle introduite par le Tribunal de Grande Instance de Paris (une demande de décision préjudicielle est une question posée par une juridiction d’un État membre à la CJUE, portant sur l’interprétation du droit de l’Union européenne).

Cette question s’inscrit le cadre d’une procédure pénale en France dirigée à l’encontre d’Airbnb Ireland, l’entité du groupe Airbnb qui contracte avec les utilisateurs européens. L’auteur de la plainte (l’AHTOP, une association professionnelle qui représente les intérêts des acteurs de l’hébergement et du tourisme professionnels) soutenait notamment qu’Airbnb ne se contentait pas de mettre en relation des loueurs et des locataires, mais que la société irlandaise exerçait une véritable activité d’agent immobilier au sens de la Loi Hoguet, sans détenir de carte professionnelle et sans respecter certaines obligations lui incombant à ce titre, s’exposant ainsi à des sanctions pénales.

Au cours de la procédure pénale, le juge d’instruction en charge de l’affaire a demandé à la CJUE si Airbnb devait être qualifié d’agent immobilier ou si au contraire l’activité d’Airbnb ne relevait pas de la notion de « service de société de l’information » au sens de la directive « commerce électronique »[3] et de la directive 2015/1535[4].

Il est important de s’arrêter sur cette notion essentielle pour les intermédiaires numériques, déjà au centre des débats dans les décisions Uber.

La notion de « service de la société de l’information » et le régime qui en découle

Ainsi que le rappelle la CJUE, un service de la société de l’information est défini par les textes européens comme un « service presté normalement contre rémunération, à distance par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services »[5].

Le fait de répondre à cette définition est d’une importance déterminante. En effet, la directive commerce électronique, adoptée en 2000, interdit aux États membres de l’Union européenne d’imposer aux services de la société de l’informations des lois ou des réglementations qui restreignent la libre prestation de services, sauf à respecter certaines conditions bien précises, et notamment notifier la mesure envisagée à la Commission européenne. En l’absence d’une telle notification, la sanction est l’inopposabilité de la mesure à la personne concernée.

Ainsi, dès lors qu’une entreprise a une activité qui relève de cette notion, cela signifie en principe que son activité peut seulement être règlementée dans les conditions imposées par les textes européens. C’est évidemment un atout majeur, en particulier pour des modèles numériques qui bousculent les acteurs établis sur un marché, dont l’activité traditionnelle est elle généralement réglementée.

La CJUE a donc eu l’occasion de se prononcer sur le modèle de deux acteurs historiques de l’économie des plateformes. Dans un cas, le service d’intermédiation n’est pas un service de la société de l’information (Uber), dans l’autre, il en est un (Airbnb).

Quels sont donc les critères retenus par la CJUE pour déterminer si une plateforme répond bien à cette définition ?

Les clés de lecture fournis par la CJUE

Pour qualifier Airbnb de véritable intermédiaire numérique, la CJUE retient principalement trois critères qui avaient déjà été esquissés dans les décisions Uber :

1/ La caractéristique essentielle du service d’intermédiation : la CJUE considère que la caractéristique essentielle de la plateforme exploitée par Airbnb consiste en « une liste structurée des lieux d’hébergement disponibles (…) et correspondant aux critères retenus par les personnes recherchant un hébergement de courte durée ». Celle-ci « ne tend pas uniquement à la réalisation immédiate d’une prestation d’hébergement » mais plutôt à « fournir un instrument facilitant la conclusion de contrats portant sur des opérations futures ». En résumé, Airbnb ressemble plus à un site de petites annonces qu’à un agent immobilier.

2/ Le caractère indispensable du service d’intermédiation : la CJUE considère que le service fourni par Airbnb n’est « aucunement indispensable à la réalisation de prestations d’hébergement tant du point de vue des locataires que des loueurs y recourant, tous deux disposant de nombreux autres canaux (…) tels que les agences immobilières, les petites annonces (…) ou encore les sites internet de locations immobilières ». En d’autres termes, Airbnb n’est qu’un acteur parmi d’autres et sans lui la location courte durée continuerait d’exister.

3/ Le prix : la CJUE relève qu’Airbnb ne fixe ni ne plafonne le prix des biens mis en location : « tout au plus, [Airbnb] met à disposition un instrument optionnel d’estimation du prix de leur location au regard des moyennes de marché tirées de cette plateforme, laissant au seul loueur la responsabilité de la fixation du loyer ».

C’est à l’aune de ces trois critères que la CJUE juge que le service fourni par Airbnb est bien un service de la société de l’information. On pouvait déjà entrevoir les premiers éléments de cette grille d’analyse dans les arrêts Uber.

La CJUE avait ainsi relevé qu’Uber avait « [créé] (…) une offre de service de transports » et que sans Uber, « [les] chauffeurs ne seraient pas amenés à fournir des services de transport » et les passagers « n’auraient pas recours aux services desdits chauffeurs » ce qui revient à dire que le service d’intermédiation est indispensable à la réalisation du service de transport créé par Uber.

En outre, la Cour avait considéré qu’Uber exerçait « une influence décisive » sur la prestation de transport car Uber fixait le prix, contrôlait la qualité des véhicules et contrôlait le comportement des chauffeurs, en les sanctionnant.

Enfin, et cela est tout aussi important, la CJUE considère que de nombreuses fonctionnalités propres au service fourni par Airbnb « présentent un caractère accessoire » car « elles ne constituent pas pour les loueurs une fin en soi, mais un moyen de bénéficier du service d’intermédiation fourni par Airbnb ». Il en est ainsi de :

  • la fourniture aux loueurs d’un « canevas définissant le contenu de leur offre, un service optionnel de photographie du bien mis en location ainsi qu’un système de notation des loueurs et des locataires accessibles aux futurs loueurs et locataires». La CJUE considère même que ces instruments « participent de la logique collaborative inhérente aux plateformes d’intermédiation », ce qui montre à quel point l’analyse de la CJUE est poussée et s’inscrit dans son temps ;
  • le fait pour Airbnb de collecter les paiements par l’intermédiaire de sa filiale anglaise, qui ne constitue pour la Cour que des « modalités de règlement (…) communes à un grand nombre de plateformes électroniques » et « dont la seule présence ne saurait modifier la nature même du service d’intermédiation » ; et
  • le fait de fournir une garantie sur les dommages et une assurance de responsabilité civile n’a pas plus d’influence sur la qualification du service d’Airbnb.

Vers une définition unique de l’intermédiaire numérique ?

Ces décisions et les critères qui sont retenus permettent d’esquisser la définition juridique de l’intermédiation numérique. Il sera donc très intéressant de suivre l’évolution de la jurisprudence de la CJUE, qui a d’ailleurs vocation à s’appliquer dans toute l’Union européenne.

A titre de comparaison, en 2016, la Commission européenne s’était essayée au même exercice et avait considérée dans une communication [6] (n’ayant donc pas de force obligatoire) qu’une plateforme devait être considérée comme un service de la société de l’information sur la base de trois critères :

1/ la fixation du prix, ce qui n’est pas surprenant, car ce critère revient systématiquement ;

2/ la fixation des « conditions contractuelles essentielles», ce qui est un peu vague ; et

3/ la « propriété des actifs principaux», ce qui est n’est pas inintéressant quand on sait qu’Uber a déjà loué les véhicules aux chauffeurs inscrits sur sa plateforme, ou qu’Airbnb s’est lancé dans l’architecture et commence à conclure des partenariats pour construire des « immeubles Airbnb » (sans en être toutefois totalement propriétaire).

En France, il existe une définition de la plateforme à l’article L.111-7 du Code de la consommation et il faut ajouter à cela l’article L.7342-1 du Code du travail, qui dispose que lorsque la plateforme « détermine les caractéristiques de la prestation de service fournie et fixe son prix », elle a une responsabilité sociale.

Ces différents textes et décisions ne sont pas pour autant contradictoires. Il y semble y avoir un consensus pour dire que lorsqu’une plateforme fixe le prix et / ou a une forte influence (« décisive », selon les termes de la CJUE) sur les caractéristiques du service qu’elle permet, il est à tout le moins logique que son activité soit réglementée, et qu’elle perde en quelque sorte la protection naturelle découlant du statut d’intermédiaire.

Ces éléments relatifs à la définition de la plateforme ont également un impact sur le régime de responsabilité qui pourrait en découler. A ce sujet, nous avions plaidé en novembre 2017 pour un régime de responsabilité qui dépendrait notamment de critères comme la fixation du prix et la détermination des caractéristiques essentiels de la prestation.

Nul doute que la construction du droit des plateformes n’en est qu’à ses débuts mais il est certain que l’arrêt Airbnb constitue une étape décisive.

Droit du partage continuera naturellement de suivre ces sujets pour vous.


[1] Aff. C-434-15, Asociación Profesional Elite Taxi contre Uber Systems SpainSL.

[2] Aff. C-320/16, Uber France SAS.

[3] Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur («directive sur le commerce électronique»)

[4] Directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information

[5] Directive 2015/1535, article 1.1.b)

[6] https://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2016/FR/1-2016-356-FR-F1-1.PDF

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À la recherche de la Smart City : numéro 2 de la revue Third

En tant que lieu de construction d’une culture du numérique, Third décrypte la révolution juridique en abordant les grands objets de réflexion et en adoptant une approche pluridisciplinaire (voir le site de la revue Third). Publié en mai 2019, le numéro 2 de la revue Third (voir le site dédié au numéro sur la Smart City) est dédié aux questions posées autour de la Smart City.

Smart City Couverture Third numéro 2

Expression à la mode et indéfinissable, la Smart City ponctue presque toutes les discussions sur l’impact du numérique dans nos vies urbaines. Il était donc naturel que la revue Third s’essaie à mieux appréhender cette notion, tout en conservant l’approche pluridisciplinaire qui la guide.

Chacun à leur façon, les contributeurs de ce numéro creusent l’idée que la Smart City est un idéal, une forme de rêve collectif dans lequel ceux qui composent une ville (le citoyen, le politique et l’entrepreneur) tireraient profit de toutes les mutations résultant de la révolution numérique : des villes mieux organisées, plus fluides, plus justes, où il ferait bon vivre.

Où en est ce projet aujourd’hui ? Sous quel angle peut-on réellement l’appréhender ? Quelles sont les forces qui le façonnent ? Quels changements aura-t-il sur nos vies ? Voulons-nous vraiment d’une Smart City ?

Nous vous invitons à découvrir les articles passionnants des contributeurs du numéro de Third intitulé « À la recherche de la Smart City ».

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L’e-sport est-il un sport ?

L’association « France esports » a publié le 26 septembre des chiffres sur la consommation de l’e-sport en France, en partenariat avec Médiamétrie et en présence du secrétaire d’État chargé du numérique, Mounir Mahjoubi. Cette publication est un événement, car il était jusqu’ici difficile d’avoir des chiffres fiables sur le secteur. On apprend notamment qu’il y a plus de 5 millions de consommateurs d’e-sport en France et que, contrairement aux idées reçues, les e-sportifs pratiquent une activité physique régulière et sont plutôt âgés (la tranche d’âge la plus représentée étant celle des 35-49 ans). Cette publication est l’occasion de s’arrêter sur cette pratique qui connait un succès phénoménal et dont les enjeux juridiques sont passionnants.

L’e-sport peut être définie comme « une forme de pratique vidéoludique particulière, qui, désigne l’affrontement compétitif et réglementé de joueurs par l’intermédiaire d’un jeu vidéo, et cela quel que soit le support de pratique (ordinateur personnel, console, tablette ou smartphone[1] ». Les compétitions, qui peuvent être organisées en ligne ou en dur, attirent parfois plusieurs dizaines de milliers de spectateurs. Devant l’engouement du public face à ce phénomène, le législateur s’est emparé du sujet.

Un cadre juridique né en 2016

L’e-sport a fait l’objet d’une consécration légale avec la Loi pour une République Numérique en encadrant :

  • l’organisation des compétitions: celles-ci sont désormais licites, sous certaines conditions et la participation des mineurs est encadrée ; et
  • le statut juridique du e-sportif: la loi a créé un contrat de travail spécifique contenant des règles protectrices des e-sportifs salariés, inspiré du contrat de travail des sportifs.

Malgré l’avènement de cet embryon de cadre juridique, l’e-sport n’est pas (encore ?) un sport. En effet, le législateur a choisi de qualifier l’e-sport de « compétitions de jeux vidéo », en définissant ces compétitions comme une exception à la prohibition d’organiser des loteries.

En réalité, le législateur n’a pas voulu s’engager. Pourquoi ce choix ? Il y a plusieurs explications.

La définition du « sport » n’est pas arrêtée

Curieusement, il n’existe, en France, aucune définition législative ou réglementaire de ce qu’est le sport,. Mais la jurisprudence a eu l’occasion de se prononcer sur la définition du sport pour décider de l’obtention de la qualité de « fédération », qualification qui permet à une activité de se structurer en véritable sport.

C’est ainsi que le Conseil d’État définit la discipline sportive par référence à un faisceau d’indices incluant notamment la recherche de la performance physique, l’organisation régulière de compétitions et le caractère défini des règles applicables à l’activité en cause (les règles du jeu). Ainsi, ne sont pas qualifiées de sport les pures activités de loisir, comme le paintball[2] ou le bridge, qui ne nécessite que des facultés intellectuelles[3]. En revanche, les Échecs ont été reconnus comme un sport à part entière en 2000.. La frontière peut donc être ténue.

En outre, la qualification de sport varie selon les pays. Le poker a ainsi été reconnu comme sport au Brésil en 2012, alors que ce n’est pas le cas en France. Un peu plus original, le « chess-boxing » (qui mélange boxe anglaise et jeu d’échecs) est un sport très populaire en Russie et en Allemagne, mais n’a pas encore accédé à ce statut en France (sûrement parce qu’il n’est pas encore très populaire).

La notion de discipline olympique est contingente

Les notions de discipline olympique et de sport se confondent souvent dans le langage courant. Cependant, le CIO (comité international olympique) a des critères bien définis de ce qu’est une discipline olympique, et cette notion ne se confond pas forcément avec la notion, par exemple, française, de « sport ».

Ainsi, en France, le surf a été reconnu comme sport en 1989, mais il faudra attendre les Jeux de Tokyo en 2020 pour que la discipline fasse officiellement son entrée aux jeux olympiques (en même temps que le karaté, le baseball, l’escalade et le skateboard).

Les critères du CIO sont assez nombreux et regroupés en 6 catégories :

  • Histoire et tradition (l’activité doit être pratiqué depuis un certain temps) ;
  • Universalité ;
  • Popularité ;
  • Image et environnement (l’activité doit être respectueuse de l’environnement, de l’égalité des sexes, etc.) ;
  • Santé des athlètes (les participants à l’activité ne doivent pas recourir à des substances dopantes) ;
  • Développement de la fédération (la fédération qui gère l’activité doit être en mesure de se développer).

A l’inverse, certains sports peuvent disparaître de la liste des disciplines olympiques, comme la pelote basque,. Plus récemment, la lutte a été retirée de la liste, avant d’être réintégrée in extremis pour les de JO de 2020 et 2024.

Et l’e-sport dans tout ça ?

L’e-sport est un « sport » (au sens national du terme) dans plusieurs pays, comme la Corée du Sud, la Russie ou encore les Philippines. Quant aux États-Unis, sans reconnaître la qualification de sport, le gouvernement américain a créé un visa spécifique dédié aux e-sportifs pour faciliter leur entrée et sortie dans le pays.

Plusieurs obstacles à la qualification de sport existent, qu’il s’agisse de la France ou d’autres pays :

  • Pour des raisons de politiques publiques et notamment de volonté de promotion de l’activité physique, certains gouvernements ne souhaitent pas favoriser une activité comme l’e-sport. C’est le cas du gouvernement français qui a récemment affirmé ne pas vouloir « s’engager dans une reconnaissance du e-sport comme une activité sportive en tant que telle[4]» ;
  • Certains acteurs du e-sport ne sont pas forcément attachés à cette reconnaissance, leur priorité étant seulement de disposer des bons outils juridiques permettant de développer l’e-sport
  • Les droits de propriété intellectuelle attachés aux jeux vidéo : à l’heure actuelle, les éditeurs de jeu vidéo sont tout puissants ; ils maitrisent les règles du jeu, l’organisation des tournois et des événement, ainsi que leur diffusion. En fait, un jeu pourrait tout à fait disparaitre du jour au lendemain, ou ses règles pourraient être substantiellement modifiées, sans qu’aucune instance de régulation ne puisse s’y opposer.

Nouvel exemple de l’impact du numérique sur le Droit, l’e-sport est en plein développement et mérite d’être étudié avec attention.

Droit du Partage vous tiendra naturellement informés de l’évolution du cadre réglementaire de ce secteur en plein développement

_________________________

[1] Nicolas Besombes, « Sport et esport : une comparaison à déconstruire » – Jurisport 2018.

[2] CE 13 avr. 2005, Fédér. de paint-ball sportif, req. no 258190.

[3] CE 26 juill. 2006, Fédér. française de bridge, req. no 285529 – Le bridge s’est également vu refuser la qualification de « sport » au sens du droit (fiscal) européen par la Cour de justice de l’Union européenne – aff. C-90/16.

[4] Réponse ministérielle à question écrite n°3526 (M. Juanico), JOAN Q 19 juin 2018, p. 5389.

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Les robots et le Droit font ils (pour l’instant) bon ménage ?

L’actualité ne cesse d’évoquer les robots et l’intelligence artificielle. De la pure fiction avec « Blade Runner » à la réalité avec AlphaGo en passant par les premières avancées concernant les véhicules autonomes, tout met en avant l’importance des mutations impliquées par ces nouvelles formes d’intelligence.

Bien évidemment, comme cela est notre conviction depuis le début de nos travaux sur l’économie numérique, le droit est en retard sur les usages et les initiatives économiques. Afin d’esquisser l’avenir, voici 3 axes juridiques structurants pour les robots :

1) Leur statut juridique : est-ce une chose ? un animal ? une personne ? Ces questionnements touchent le cœur du métier d’avocat qui consiste à qualifier juridiquement une réalité. On ira peut-être un jour vers le « robot personne » qu’anticipe notre confrère Alain Bensoussan mais aujourd’hui, c’est la notion de « machine » qui semble plus adaptée (elle est définie comme « ensemble équipé ou destiné à être équipé d’un système d’entraînement autre que la force humaine ou animale appliquée directement, composé de pièces ou d’organes liés entre eux dont au moins un est mobile et qui sont réunis de façon solidaire en vue d’une application définie» – article 2 de la directive 2006/42/CE du 17 mai 2006). Cette notion implique un régime juridique articulé autour du fabricant (responsable de la conformité de la machine à des impératifs de sécurité), celui qui effectue la mise sur le marché (débiteur d’obligations spécifiques comme la vérification de certaines spécifications) ou encore celui qui installe la machine (il doit respecter les exigences fixées par le constructeur).

2) Leur responsabilité : l’autre aspect qui vient immédiatement à l’esprit est la question de la responsabilité relative aux dommages causés par un robot. Si l’application du droit commun de la responsabilité ne nous semble pas pertinent (en effet, pour appliquer ces régimes, il faudrait considérer que le robot est « autrui », une « chose » ou un « animal », ce qui n’est pas le cas), le droit des produits défectueux paraît applicable en raison de la large définition du « produit » (article 1386-3 du Code civil). Ces textes anciens ont connu une interprétation souple qui a permis d’intégrer dans leur champ les logiciels, ce qui permet d’appréhender, avec le même régime juridique, les robots dans leur complexité (aussi bien la partie physique et la partie logicielle). Les récentes avancées en matière de robotique amènent à s’interroger sur le rôle et la responsabilité des concepteurs des capteurs (essentiels pour le fonctionnement des robots) ou de ceux qui développent le code informatique (déterminant les décisions).

3) Vers un droit des robots ou des droits pour les robots ? la problématique centrale est de déterminer si le robot est sujet de droit (ce qui implique de lui conférer des droits, des obligations et un patrimoine) ou bien c’est un objet de droit (des personnes auront des droits et obligations lié à la conception, la distribution ou la propriété du robot). Si c’est une question juridique importante, il ne faut pas sous-estimer les implications sociétales de celle-ci puisqu’il s’agit de déterminer la place des robots et de l’intelligence artificielle dans notre vie.

Le 16 février 2017, le Parlement Européen a adopté un texte contenant des recommandations à la Commission concernant des règles de droit civil sur la robotique (2015/2103(INL)), lesquelles découlent des travaux menés sous la direction de Mady Delvaux au sein de la commission des affaires juridiques du Parlement. Si la Commission n’est pas contrainte de suivre ces suggestions (lesquelles concernent à la fois les principes généraux applicable au développement de la robotique, les principes éthiques, la création d’une agence européenne et les règles de responsabilité), elle doit justifier ses raisons et motifs en cas de refus. Cela préfigure des évolutions en la matière qu’il faudra suivre attentivement tant l’Union Européenne a un rôle décisif à jouer dans la construction d’un secteur numérique fort.

Droit du Partage continuera naturellement à vous informer sur ces sujets.

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Voiture autonome : évocation des évolutions juridiques à venir

On ne compte plus les acteurs qui se lancent dans le développement de voitures autonomes (par exemple, Google est une société en pointe sur le sujet et Lyft a récemment annoncé qu’une division entière de l’entreprise y serait dédiée) ou ceux qui ont déjà mis en circulation des véhicules de ce nouveau type. Cette évolution technologique, couplée au développement des voitures électriques, annonce un âge nouveau pour l’industrie automobile (les constructeur jouent une partie de leur avenir et les éditeurs de logiciel doivent saisir ces opportunités cruciales pour leur avenir), pour l’accessibilité et la cohésion des territoires (l’avènement de véhicules autonomes pourraient mener au désenclavement de certaines zones) mais également pour l’avenir social des professionnels de la route (autonomie des véhicules signifie absence de chauffeurs et donc chômage pour cette catégorie de personnes). Tout en étant futuriste, l’affirmation « les voitures autonomes, c’est l’avenir » révèle déjà du présent.

Et pourtant… aucun cadre juridique dédié ne concerne ces machines et la règlementation n’est pas adaptée à ces activités nouvelles. Comme nous l’avons régulièrement dit, le droit est toujours en retard sur les usages et l’innovation : c’est une nouvelle fois le cas et les enjeux sont lourds de conséquences. Voici quelques perspectives à garder à l’esprit pour aborder les questionnements sur le sujet :

1) le code de la route : de manière très concrète, il faudra sans doute procéder à une refonte du Code de la route pour intégrer cette mutation sans précédent. En effet, en plus des règles qui se trouveront obsolètes en raison de cette innovation, ce sont les principes fondateurs du Code qu’il faut retravailler (ex : l’article R. 412-6 dispose que « tout conducteur doit se tenir constamment en état et en position d’exécuter commodément et sans délai toutes les manoeuvres qui lui incombent » ne serait plus adapté). Ces réflexions devront également être intégrées dans les projets de « villes intelligentes » (smart cities) où les innovations bouleverseront l’agencement de la chaussée et des zones urbaines.

2) les données des voitures et des passagers : si aucune règle dédiée n’existe à ces situations nouvelles, les questionnements sont nombreux. En effet, comment distinguer les données « personnelles » des autres (ex : les données relatives à la consommation d’essence sont elles « personnelles » au sens juridique du terme ?) ou encore comment assurer la sécurité et l’intégrité des systèmes informatiques pilotant les voitures pour éviter les piratages ?

3) la responsabilité en cas d’accident : cette question est la première qui vient à l’esprit puisqu’elle est évidente. Si certains textes peuvent être mobilisés (directive 2006/42/CE ou la convention de Vienne sur la circulation routière), un vide juridique existe. En matière civile, on pourrait sans doute développer des raisonnements à partir du droit commun de la responsabilité et du droit spécial de la loi Badinter mais, en matière pénale, la question serait plus complexe encore. On pourrait entrevoir un glissement de la responsabilité (au sens large, c’est-à-dire sans distinguer entre le civil et le pénal) du conducteur au constructeur. Pour autant, lorsqu’on imagine le cadre juridique futur, il nous semble opportun de séparer la situation du concepteur de la voiture, du constructeur de la voiture et l’auteur du système informatique tout en conservant, si cela est pertinent selon la technologie, une part de responsabilité pour le « conducteur » (ou du moins ce qui resterait de cette notion).

Les mutations inédites induites par l’avènement des voitures autonomes sont profondes et le droit a un rôle clé à jouer pour sécuriser et encadre le développement de ces pratiques (cela revient notamment à poser la question de l’intelligence artificielle et du statut des algorithmes).

En termes d’actions concrètes, on peut faire référence à la Commission de déontologie du Ministère des Transports et de l’infrastructure numérique Allemand qui a, en juin 2017, publié un rapport contenant des lignes directrices sur les véhicules autonomes mais également au parlement américain qui a adopté un projet de loi concernant les voitures autonomes (le Sénat doit encore se prononcer sur ce texte qui vise à construire le cadre juridique adéquat, notamment en supprimant certaines contraintes de sécurité applicables aux conducteurs « physiques »). Ces démarches novatrices visent en effet à appréhender les questions (notamment juridiques) posées par ces nouvelles interactions entre l’homme et la machine.

Des réflexions similaires doivent être initiées en France, mais également à l’échelle de l’Union Européenne pour garantir l’uniformité du marché commun. Les années à venir seront déterminantes pour la création d’un cadre juridique adapté pour ces nouvelles technologies.

Droit du Partage continuera à vous tenir informés.

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